Jeudi 17 mai 2018 au matin, une nouvelle série d’expulsions a commencé sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Elle cible les habitant·e·s qui ont refusé de déposer des dossiers en préfecture en échange de conventions d’occupation précaires d’un an. Cette deuxième opération intervient dans un contexte d’épuisement généralisé sur la ZAD. Elle fait suite à une semaine d’intensification de la pression des gendarmes sur les barricades, d’arrestations et d’incursions au beau milieu de la nuit. La solidarité tient bon gré mal gré, mais chez les occupant.e.s et leurs soutiens, la guerre d’usure commence à laisser des traces.

Jeudi matin, plusieurs centaines de personnes étaient présentes sur la ZAD, habitant·e·s et soutiens venu·e·s à l’annonce de l’expulsion imminente des « sans-fiches ». Dans un communiqué, publié il y a quelques jours sur l’automédia de la ZAD, certain·e·s des occupant·e·s ont réaffirmé leur volonté de ne pas s’inscrire dans le processus de discussion entamé entre le mouvement et la préfecture. Depuis trois semaines, la question de ce qu’il est possible de négocier avec l’État, voire de s’il est pertinent que le mouvement négocie quoique ce soit, empoisonne les discussions. La destruction des cabanes de celles et ceux qui tiennent à rester hors de l’Etat de droit vient ajouter encore un peu plus d’huile sur le feu.

« Tout le monde est fatigué »

Depuis trois semaines, le calme n’était pas revenu à la ZAD, loin de là. « Les barricades se font et se défont tous les jours, des fois les bleus approchent, parfois seulement à 200 ou 300 mètres. » Un Camille*, visage couvert de suie, garde un carrefour non loin de La Rolandière. Il est aussi fatigué que souriant. Sur plusieurs routes de la zone, plusieurs barricades espacées de quelques mètres seulement sont perpétuellement en construction ou en renforcement. « Tout le monde est fatigué, » explique-t-il. « On a eu une semaine de répit, et puis là, depuis quelques jours, les gendarmes s’excitent de nouveau. Ils débarquent en pleine nuit avec les torches, gazent tout le monde, interpellent des gens et se cassent. On a eu des lacrymo et de flashball en tirs tendus. » Un harcèlement épuisant qui a fait un peu de mal au mouvement. Pour un autre Camille* masqué qui suit la discussion, la stratégie du pourrissement est claire. D’ailleurs, le climat d’engueulades et de tensions est présent dans la plupart des conversations.

Les négociations ont commencé

Les discussions entre le mouvement et l’État ont pourtant commencé. « Elles vont durer longtemps, peut-être plusieurs années, » explique Jean-Marie Dréan de Naturalistes en lutte, composante historique du mouvement. Comme quelques habitant·e·s, il trouve que tout cela est bien précipité. « On parle de conventions d’occupation précaires, c’est-à-dire de gagner, quoi, un an ? Et alors qu’on a même pas fini de discuter de ça, le gouvernement parle déjà de nouvelles expulsions. » En effet, un quarantaine de demande de conventions d’occupation précaires ont été déposées en préfecture. Seules quinze ont été validées lundi dernier, les autres sont renvoyées au mois d’octobre. « On ne négocie pas avec des chars d’assaut sous la gorge, » a asséné un zadiste pendant une conférence de presse à La Rollandière jeudi, en plein balai des pelleteuses. Aux côtés des occupant·e·s et des barricadier·e·s, des membres de Copain 44, collectif d’agriculteurs, et de Naturalistes en lutte prêtent leur soutien. Si l’épuisement est bel et bien là, la solidarité pour repousser les pelleteuses aussi. Mais pour mettre « du cœur à l’outrage » – comme le clame une tente près de la ferme de Bellevue -, pour s’opposer à la destruction des lieux de vie de ceux qui refusent de discuter quoique ce soit tant que les blindés seront sur la zone, c’est moins sûr. Les différentes composantes du mouvement parviendront-elles à résister ensemble ?

Des routes propres et un état de droit

Pour Nicole Klein, préfète des Pays-de-la-Loire, il y a deux priorités qui justifient le recours à la force. Tout d’abord, les routes : lundi dernier, lors d’une conférence de presse à la préfecture de Nantes, la préfète s’est montrée inflexible sur ce point. Puis vient ‘l’état de droit’, expression martelée par l’ensemble du gouvernement et condition sine qua non pour des discussions ouvertes avec celles et ceux qui ont accepter de jouer le jeu de la négociation jusque là. Dans les prairies et les cabanes, cela fait sourire. L’état de droit, mettre ses enfants à l’école, payer ses impôts, se conformer aux lois… Nicole Klein met le doigt sur ce que les sans-fiches ne veulent précisément pas négocier : « il y a un certain nombre de règles que les Français ne comprendraient pas qu’on ne respecte pas, » a-t-elle affirmé jeudi sur France Info. Non-respect auquel la présence militaire doit mettre un terme, épargnant toutes celles et ceux qui ont déposé les 39 projets agricoles et para-agricoles en préfecture au cours des trois dernières semaines. Il y a donc le bon grain, ceux avec qui l’Etat peut négocier, les respectables, et les autres.

A travers son porte-parole, l’ACIPA déclare ne pas soutenir « les habitats dispersés »

Contacté par notre rédaction, le porte parole de l’ACIPA (Association opposée de longue date au projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes), Julien Durand, déclare que celle-ci « n’est pas présente » en tant que telle sur la Zone à Défendre ce jeudi 18 mai. Ce dernier assure que l’association « soutient les habitants qui ont un projet » mais pas « la question des habitats dispersés ». Du Larzac aux zadistes, ce producteur laitier à la retraite fait partie de l’opposition au projet d’aéroport dans le bocage nantais depuis plusieurs années : « il y a une victoire à Notre-Dame-Des-Landes contre le projet d’aéroport. La lutte actuelle repose sur la biodiversité et l’agriculture, il faut donc réfléchir avant de reconstruire ». Le porte-parole de l’association assure également que le bilan du comité de pilotage de ce lundi 14 avril est « positif car 15 projets ont été validés et 14 sont en compléments d’information ». Interrogé sur la position de l’Acipa vis à vis des expulsions débutées ce jeudi 18 mai, Julien Durand répond : « la population en a ras le bol de ce qu’il se passe, c’est une mascarade. Les gens de la ZAD vont perdre la confiance de la population si cela continue ». Et le porte-parole de dénoncer « une mauvaise volonté des zadistes ».