Quatrième nuit de manif sauvage pour les policiers frondeurs. Un mouvement sans véritable structure qui se revendique spontané et hors du cadre des syndicats traditionnels.
« Les syndicats, j’en ai rien à foutre »
Il est minuit passé et cela fait déjà deux heures que près de 500 fonctionnaires en colère arpentent les rues de Paris, entourés d’une nuée de journalistes. Leur marche est partie du Trocadero et s’est arrêtée face à un cordon de gendarmerie, à seulement quelques mètres de l’Elysée.
« Les syndicats, j’en ai rien à foutre » lâche un manifestant à un commissaire qui semble jouer l’intermédiaire entre le cabinet du ministre Bernard Cazeneuve et les policiers frondeurs. Ce dernier vient de leur proposer d’envoyer des représentants syndicaux chez le patron de la place Bauveau le lendemain. Le site internet de l’hebdomadaire Le Point nous apprend finalement que le manifestant en question n’est pas flic, mais qu’il a été adjoint de sécurité (ADS) au commissariat du 19e arrondissement de Paris jusqu’en 2014. Capuche à fourrure, barbe de trois jours et crâne rasé, il a 30 ans et il s’appelle Rodolphe Schwartz. Il a échoué à plusieurs reprises au concours de gardien de la paix, avant de finalement se reconvertir dans le privé, où il est désormais employé chez Carrefour. Celui qui s’adresse à la foule des journalistes, juché sur les épaules de deux manifestants, n’est donc lui-même pas policier…
Un porte-parole autoproclamé, proche du Front National et travaillant dans le privé.
S’il ne fait pas « partie de la maison », face aux caméras et aux micros, Schwartz est grande gueule. Il faut dire qu’il n’en est pas à son coup d’essai : en 2015, déjà, il appelle par l’intermédiaire de l’Association de défense des forces de l’ordre, qu’il a fondée en mars 2013, à une manifestation sous les fenêtres du ministère de la Justice en prenant pour cible Christiane Taubira, alors garde des Sceaux, qu’il accuse d’être trop laxiste. Trois ans plus tôt : le 26 février 2013, il lance une marche « blanche » en mémoire de deux policiers tués par un chauffard sur le boulevard Périphérique. Un rassemblement sauvage en plein Paris et déjà hors du contrôle des syndicats à l’époque.
Entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2012, celui qui s’affiche aujourd’hui en porte-parole de ses anciens collègues – tout en refusant cette étiquette – avait appelé à un rassemblement de policiers Porte Maillot, dans le 17e arrondissement de Paris, après la mise en examen d’un fonctionnaire de police auteur d’un coup de feu mortel à Noisy-le-Sec.
Aux élections municipales de 2014 à Paris, Schwartz figure également en 37e position sur la liste Front National portée par Wallerand de Saint Just.
« La Racaille et les sauvageons en prison »
Ce soir, manque de chance, impossible d’organiser une rencontre avec Bernard Cazeneuve : le ministre est à Rome. Une délégation de représentants des différents secteurs concernés par la fronde en cours – et dont les manifestants exigent qu’elle soit « asyndicale et apolitique » – doit cependant être reçut place Beauvau le vendredi 21 octobre.
Dans les rues de Paris les manifestants ont à plusieurs reprises demandé la démission de Jean-Marc Falcone, le directeur de la Police nationale. Mais aussi celle de Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur et même celle du Président de la République François Hollande. Un slogan repris par la clientèle huppée de l’hôtel cinq étoiles Peninsula Paris au passage de la manifestation, Avenue Kléber dans le 16e arrondissement. Hilares, des hommes et des femmes en tenue de soirée, attroupés en terrasse, lèvent leurs verres de champagne en direction des policiers qui les applaudissent, puis entonnent avec eux la Marseillaise.
De façon générale, tous condamnent la saisie de l’Inspection Générale de la Police Nationale après les premières manifestations non déclarées de cette semaine. Ils exigent également moins de laxisme de la part de la justice et n’hésitent pas à le crier haut et fort à travers des mots d’ordre désormais scandés à chaque nouvelle manifestation nocturne : « la racaille en prison” et « sauvageons en prison ».
Des policiers frondeurs, arborant leur brassard de police et en moto, arrêtent la circulation pour assurer le passage du cortège. Pour les soutenir, quatre ou cinq anciens de la Manif Pour Tous sont venus accompagner les forces de l’ordre. Généreux, ils excusent les policiers de les avoir « gazés en 2013 », lorsque le mouvement rassemblait encore massivement. De temps à autre, quelques riverains sortent à leur fenêtre ou s’arrêtent sur la chaussée pour applaudir les policiers, qui leur répondent par une acclamation.
Sur cette pancarte brandie par une manifestante : « Gazé en 2013 mais pas rancunier #JeSoutiensLaPolice #JaimeLesFlics ». Photographie : Marc Estiot.La manifestation est pourtant loin de faire l’humanité, beaucoup d’automobilistes semblent mécontents. Certains passants pestent au passage de la police insubordonnée en lui rappelant les violences qu’elle commet au quotidien, avant d’être copieusement hués par les manifestants.
Au milieu de la nuit, après une Marseillaise sous l’Arc de Triomphe face à la flamme du Soldat Inconnu et un défilé sur les Champs-Élysées, les policiers sont rejoints par une vingtaine de taxi. Les enceintes d’un véhicule crachent « J’ai embrassé un flic », le dernier titre de Renaud. Les klaxons se joignent aux cris des policiers et aux sirènes hurlantes d’une patrouille passant par là, systématiquement applaudis. Après une nouvelle nuit de mobilisation, ces mêmes taxis reconduiront les policiers chez eux. C’est fini… pour ce soir du moins.
« Ce qu’on a fait ici en quelques jours, les syndicats n’y sont pas parvenus en quarante ans ! »
Si les manifestations nocturnes et sauvages de policiers auxquelles ont assiste depuis lundi ne sont pas déclarées – et donc illégales – elles sont pourtant bien organisées. De l’aveu même des participants, les réseaux sociaux y jouent un rôle clef.
A en croire Alain*, la trentaine et gardien de la paix, la plupart des policiers qui manifestent ce soir-là travaillent dans les Hauts-de-Seine, en Seine-Saint-Denis et dans le Val-de-Marne : « Les collègues parisiens ne sont pas très nombreux à venir avec nous, mais ils nous soutiennent. On a pas les mêmes difficultés selon les endroits où on bosse. »
Emmitouflé dans sa doudoune, le policier dénonce à la fois des représentants syndicaux et une hiérarchie déconnectés, des salaires trop bas, des dotations en matériel de mauvaise qualité et des dispositifs de mission inadéquats.
Même si le taux de fonctionnaires syndiqués est très important dans la police – plus de 70% – hors de question pour les participants d’afficher leur appartenance à une organisation politique ou syndicale.
« Ce qu’on a fait ici en quelques jours, les syndicats n’y sont pas parvenus en quarante ans » assure Victor*, un jeune policier présent sur le Parvis du Trocadéro.
Le jeune homme travaille en région parisienne. Il dénonce les logiques de clientélisme des syndicats policiers « qui passent l’essentiel de leur temps dans leur bureau et pas sur le terrain ». Sera-t-il présent à la manifestation appelée par les syndicats le 26 octobre ? « Non, évidemment, balaie-t-il d’un geste. D’ailleurs beaucoup de collègues qui sont présents ce soir n’iront pas non plus. »
*Les prénoms ont été modifiés.
Capture d’écran réalisée sur le site Politiquemania.
Reportage : Loïc GAZAR et Tristan GOLDBRONN
Vidéo : Loïc Gazar
Photographie : Marc Estiot