Samedi 12 janvier, à Paris, des milliers de manifestants ont formé un cortège depuis Bercy jusqu’à la place de l’Étoile. Pour la première fois, les Gilets jaunes s’étaient dotés d’un service de sécurité. Et pour la première fois, la manifestation était autorisée par la préfecture de police, de 10h à 17h. Les Gilets jaunes prendraient-ils aussi de bonnes résolutions ?
Manifestation autorisée, slogans “Macron démission” chantés tous en chœur et pancartes annonçant les colères et les revendications. Tout semblait très normal lors de ce neuvième rassemblement des Gilets jaunes. Il s’agissait tout de même d’une première fois pour les membres du service de sécurité, reconnaissables à leurs foulards blancs au bras. Difficile de contenir une foule qui, jusque-alors, n’avait jamais suivi personne. “Les gens ne sont pas pressés… disons stimulés. […] C’est difficile de pouvoir gérer l’organisation qu’on a mise en place parce qu’on est des novices”, explique un Gilet jaune, qui tente de guider les autres en se targuant d’avoir mis son nom sur le dépôt de déclaration de manifestation. Pour ce quadragénaire, la stratégie décidée en AG est d’envoyer un signal au gouvernement en s’installant dans la légalité et en fédérant encore plus de manifestants pour qui “il devient dangereux de venir manifester“.
Jusqu’ici, tout va bien
Tout se passe sans heurts. Les manifestants invitent les curieux à leurs fenêtres à les rejoindre : “ne nous regarde pas, rejoins-nous“. Ils sont encore nombreux à avoir fait le voyage jusqu’à la capitale pour grossir les foules : un retraité, drapeau de la Moselle dans une main et pancarte soutenant le RIC (Référendum d’Initiatives Citoyennes) dans l’autre, est descendu à Paris en famille.
Ce jour-là, les Gilets jaunes se montrent infatigables et toujours mécontents. Les dernières propositions du gouvernement ne les ont pas convaincus, et le “grand débat” à venir n’a pas beaucoup plus de succès. “Que ce soit Macron ou un autre c’est pareil. Pour moi, les dirigeants ne parlent pas français. Je ne les regarde plus, je ne les écoute plus“, affirme une trentenaire venue de la banlieue parisienne et impliquée dans le mouvement dès la première heure.
La veille du rassemblement, Emmanuel Macron avait appelé les Français à y mettre du leur : “s’il n’y a pas ce sens de l’effort, le fait que chaque citoyen apporte sa pierre à l’édifice par son engagement au travail, notre pays ne pourra jamais pleinement recouvrer sa force, sa cohésion, ce qui fait son histoire, son présent et son avenir». Déclaration qui reste évidemment en travers de la gorge de nombreux manifestants : “c’est une provocation surtout à la veille d’un rassemblement comme celui-là“, indique un retraité venu avec avec sa fille et son fils.
Place de l’Étoile, les ennuis commencent
Un membre de l’organisation nous tend la déclaration de manifestation signée par la préfecture de police de Paris. Dessus, l’itinéraire indiqué se termine par “place Charles de Gaulle”. La célèbre place sur laquelle trône l’Arc de Triomphe, rapidement remis des récentes dégradations subies. Au bout des douze avenues qui rejoignent cette place, des cordons de CRS, des chars blindés et des camions de police attendaient les manifestants. Bloqués entre 15 heures à 18 heures environ, les manifestants se sont occupés à leur façon : provocations envers les forces de l’ordre, improvisations musicales, discussions, soins aux blessés ou tentatives de sortie.
Alors que des grenades de désencerclement explosent au loin, un homme et une femme, tous deux soixantenaires, discutent. “C’est un no man’s land, on ne sait pas ce qu’il se passe. On était venus à deux et me voilà bloquée ici, ils ont fermé d’un seul coup. Ils veulent montrer qu’ils ont la situation en main c’est ça ? Remettre tout le monde à sa place ?” Elle vient un samedi sur deux, quand elle ne travaille pas : “C’est un mouvement complexe, qui aborde des sujets de tous les jours. On vient aussi pour se faire une idée par soi-même car on ne peut pas compter sur les médias.”
D’un ton très calme, l’homme réplique : “Je serais aussi bien chez moi, j’ai 69 ans, il fait pas chaud, mais notre président est inapte à comprendre les gens qui soit-disant n’ont qu’à traverser la rue pour trouver du travail. Il est déconnecté de la réalité. Je m’inquiète pour l’avenir de mes enfants. Voilà, c’est ça qui me motive car je crois que les choses vont aller en s’aggravant“.
Vers un acte X ?
Vers 18h, des Gilets jaunes grelottants (certains auront subi la douche froide des canons à eau) saluent les CRS : “à samedi prochain, bonne soirée !“. Nous surprenons même un policier avouer à son collègue un peu plus loin : “je les aime bien, moi“. Pour beaucoup, l’idée est “d’aller jusqu’au bout” bien que les attentes ne soient pas les mêmes. Pour Frédéric, gilet jaune de 56 ans venu avec son fils de 30 ans, l’arrestation de Christophe Dettinger, ancien boxeur en attente de jugement pour “ violences volontaires en réunion”, a “remis le feu” au mouvement. Il envisage que le mouvement se poursuive “jusqu’aux beaux jours” si le gouvernement reste si “têtu” et “ne dissout pas l’assemblée”.
Un reportage de Zoé Perron et Romane Salahun