Cinq jeunes femmes ont porté plainte contre un ancien camarade de classe d’une école de théâtre privée à Paris. L’homme de 35 ans était jugé, le 9 décembre 2024, devant le Tribunal correctionnel de Paris pour agressions sexuelles, harcèlements sexuels et comportements à connotation sexiste et sexuel imposés de façon répétée.
Au même tribunal et le même jour que le procès très médiatique du réalisateur Christophe Ruggia, jugé pour agressions sexuelles sur mineure par l’ancienne actrice, Adèle Haenel, se tenait un autre procès. Un homme de 35 ans était jugé pour agressions sexuelles, harcèlements sexuels et comportements à connotation sexuelle et sexiste imposés de façon répétée à l’encontre de cinq jeunes femmes, âgées entre 18 et 23 ans. Ces jeunes femmes font partie de sa promotion d’une école de théâtre privée à Paris.
Tout commence en mars 2024. Les cinq étudiantes en théâtre portent plainte contre un ancien élève de leur promotion, qui pendant près d’un an et demi, a multiplié les comportements et les remarques déplacés et sexistes auprès d’elles. Félicité, 21 ans, une des plaignantes explique que « nous attendons toujours les affaires horribles, choquantes et violentes pour parler des violences sexistes et sexuelles, et que ça soit médiatisé, comme avec le procès des viols de Mazan. » En écoutant des discussions sur ce procès très médiatique, elle se rend compte qu’il y a une forme de distance, que les personnes se disent «que ça ne concerne pas tout le monde. Pour moi, c’est important de rappeler qu’il y a énormément d’agressions quotidiennes, c’est juste rare que ça aille jusqu’au procès. » Elle poursuit, « Avec mes camarades, on a porté plainte contre un homme, mais c’est comme si on portait plainte contre du sexisme qui est normalisé et institutionnel, qu’on a subi pendant un an et demi sans vraiment rien dire. » En effet, la domination masculine et le sexisme ordinaire sont davantage traités et relayés massivement par les médias depuis le mouvement #MeToo. Tout part d’une enquête et de témoignages, puis la justice se saisit de l’affaire. Pour autant, les affaires médiatisées sont souvent celles qui concernent des personnes médiatiques ou alors des affaires qui concernent une multitude de victimes.
Une libération de la parole
Sur les conseils d’une professeure, les jeunes femmes ont décidé de dresser une liste des comportements de l’élève et d’en informer la directrice de l’école. « En faisant cette liste, nous avons réalisé l’ampleur des faits, c’était déstabilisant », affirme Félicité. Gabrielle*, 20 ans, une des plaignantes qui a souhaité témoigné anonymement, évoque son soulagement face à cette libération de la parole, tout en expliquant que « c’était aussi très dur d’entendre tous ces témoignages et de prendre conscience qu’il s’attaquait aux plus jeunes du groupe.» La directrice de l’établissement prend le temps de parler avec les jeunes femmes et après des discussions internes avec l’équipe, elle décide de renvoyer l’homme de 35 ans de l’école. Auditionné en juillet 2024 par la police, il a été placé sous contrôle judiciaire.
« Il a rapidement vu que j’étais une proie facile »
Félicité parle d’un homme tactile avec tout le monde. « Il touchait les cuisses, le cou, parfois les hanches. Il arrivait derrière nous pour nous faire des massages sans nous demander notre consentement. » Selon elle, il faisait souvent des remarques sexistes auprès des jeunes femmes. « Il avait des discours de sexualisation de la femme et nous ramenait toujours à notre statut de femme. » Gabrielle* confirme également ce comportement : « Il me rabaissait tout le temps par rapport à mon âge et me faisait la morale. Il a rapidement vu que j’étais « une proie facile » J’ai jamais vraiment réagi, lorsqu’il me touchait la cuisse, j’enlevais sa main sans rien dire, je n’osais jamais rien dire, parce que lui faisait passer ce geste comme si c’était normal. » Les deux plaignantes déclarent qu’une forme de tolérance régnait à son égard. « Il est passé inaperçu pendant longtemps, parce qu’il essayait d’être sympathique et gentil », explique Félicité. Lors d’un séjour de vacances, où étaient présentes plusieurs plaignantes et le prévenu, il a forcé Lucie*, une des plaignantes à l’embrasser. Selon son témoignage pendant l’audience, il a insisté à de nombreuses reprises pour qu’elle lui fasse un « bisou » et elle a fini par accepter. « Il mimait des gestes sexuels pendant les moments de pauses et en coulisse, quand les regards n’étaient pas sur lui. Il a même touché les fesses d’une de mes amies par surprise », déclare Gabrielle. Un jour, l’homme demande à une jeune élève « tu prends combien ? » et a ensuite mimé un geste de bifle avec sa ceinture sur une autre élève. Ce comportement a été la goutte de trop pour les jeunes femmes, ce qui les a poussées à en parler. « Ce qui m’a motivée à déposer une plainte, c’est qu’on soit plusieurs. Je voulais aussi qu’il y ait une trace quelque part de ses comportements ».
« Il ne s’est pas remis en question lors de nos échanges »
Félicité a eu plusieurs conversations avec le prévenu, pendant leur scolarité, pour lui faire comprendre que son comportement n’était pas normal. Selon elle, à chaque fois, il était étonné qu’on puisse dire ça de lui et affirmait que ce n’était pas son intention. « Il ne s’est pas remis en question lors de nos échanges. » La libération de la parole est difficile dans un cadre scolaire. Félicité explique qu’elle avait peur de « casser la dynamique du groupe de classe. » De plus, le théâtre n’est pas un exercice comme un autre, « c’est un endroit où on est tous·tes vulnérables, où on est obligé·es de jouer ensemble et d’être bienveillant·es les un·es avec les autres et je pense que ça rend encore plus vulnérables de potentielles victimes. »
« J’arrive plus à prendre conscience de mon intériorisation du sexisme ordinaire »
Cependant, son comportement a eu des conséquences concrètes sur la vie des jeunes femmes. Un impact sur leur parcours professionnel, car deux des jeunes femmes ont changé d’école de théâtre à cause de cela et ont vécu des moments de doute face à leur carrière. « Ça a gâché mon expérience au sein de cette école », affirme Félicité. De son côté, Gabrielle a perdu énormément confiance en elle, « j’ai envie que les gens se rendent compte que même les moindres choses du quotidien ont un impact réel », affirme la jeune femme avant de poursuivre : « Je me posais vraiment la question d’arrêter ce métier. Je me demandais si j’avais les épaules pour affronter tout ça. Mais j’ai découvert que simplement je pouvais ne pas accepter ce genre de comportement. » Toutes les deux expliquent qu’elles se méfient davantage des hommes. « Maintenant, je suis en alerte tout le temps, je fais attention à tous les faits et gestes, je suis devenue limite parano. » Félicité partage ce ressenti, « ça a affecté ma confiance envers les hommes plus vieux. Et j’arrive plus à prendre conscience de ma propre tolérance, de mon intériorisation du sexisme ordinaire. »
Une ambiance malaisante selon la Procureure
Le procès, qui s’est tenu en décembre était une étape importante pour les cinq plaignantes. La directrice de l’école s’est constituée partie civile pour représenter l’école. Elle a témoigné à la barre en faveur des témoignages des plaignantes. Son avocate a requis un préjudice moral de réputation et d’image pour l’école à hauteur de 5 000 euros.
Le prévenu conteste toutes les infractions dont il fait l’objet. A plusieurs reprises, il ne daigne même pas répondre aux questions de la Procureure de la République. Il reconnaît avoir un humour un peu « beauf » parfois et regrette d’avoir pu « mettre mal à l’aise » et affirme qu’il en est « profondément heurté » et qu’il a suivi une thérapie après avoir été renvoyé de l’école. La procureure de la République, lors de sa plaidoirie, a affirmé qu’elle a trouvé que l’ambiance du procès était malaisante tout au long de l’audience. Ses réquisitions sont dix-huit mois d’emprisonnement avec sursis probatoire pour une durée de deux ans par rapport à l’agression sexuelle qui est caractérisée selon elle, une obligation de soins pour l’accompagner dans ses soins psychologiques et un stage obligatoire de prévention et de lutte contre les violences sexistes et sexuelles.
L’avocate de la défense a placé sa plaidoirie sur le milieu du théâtre qui était très « fantasmé » selon Félicité. « Elle a présenté le théâtre comme une sorte de zone grise, sous prétexte que c’est de l’art. Comme si tout était permis dans une troupe, qu’on se déchire, qu’on se touche, on se fait des massages, alors que c’est faux, ça ne se passe pas du tout comme ça. » La jeune femme s’est sentie bien soutenue et défendue lors du procès, contrairement à ce qu’elle s’imaginait, ça a été moins difficile pour elle. L’avocate de la partie civile a requis des interdictions de contact, des jours d’ITT et entre 800 et 1 500 euros de préjudice moral. La décision a été rendue le 13 janvier 2025. Le tribunal a requalifié les faits. Le prévenu a été reconnu coupable d’outrages sexistes sur les cinq femmes. Il a été condamné au paiement d’une amende et la mention figurera sur son casier judiciaire. Les requalifications sont assez fréquentes dans les tribunaux pour ce type d’affaire, ce qui entraîne une invisibilisation des agressions sexuelles. Une décision jugée décevante par les plaignantes.
*Les prénoms ont été modifiés
Clémence Le Maître
Si vous êtes victime de violences set d’agression sexuelles, sous toutes ses formes (viol, agressions sexuelles et harcèlement sexuel), le Collectif féministe contre le viol (CFCV) gère une permanence téléphonique à destination des victimes de viols et d’agressions sexuelles : 0 800 05 95 95 « VIOLS–FEMMES–INFORMATIONS ». Numéro vert, gratuit depuis un poste fixe en France et dans les DOM et TOM, ce numéro est accessible du lundi au vendredi, de 10 h à 19h (heures Paris).