Les militant·es écolos à l’épreuve de la répression judiciaire

Les procès n’en finissent plus pour les militant·es écologistes. En juin dernier, au musée d’Orsay, une activiste écologiste avait collé sur un tableau de Claude Monet un poster représentant une vision d’apocalypse. Le tableau, qui n’était pas protégé par une vitre, a pu être restauré mais la militante est aujourd’hui poursuivie pour cet acte et sera jugée le 20 novembre devant le Tribunal correctionnel de Paris.

En juin dernier, une vidéo de Riposte alimentaire, diffusée sur X (anciennement Twitter), montrait une femme, se présentant comme une « citoyenne engagée », coller sur un tableau de Claude Monet, représentant un paysage impressionniste fleuri, un poster adhésif illustrant une vision d’apocalypse dans les tons rouges. Aujourd’hui, la militante est poursuivie pour la dégradation de cette œuvre et son procès se déroulera le 20 novembre prochain. Un cas loin d’être anecdotique. En effet, le collectif de résistance civile Riposte Alimentaire a même annoncé l’arrêt de ses activités pour se concentrer sur ses procès, dans un communiqué du 17 octobre. « Au moins 37 audiences sont prévues jusqu’en octobre 2025. En comptant les appels et les pourvois en cassation, le combat juridique devrait continuer jusqu’en 2027 au moins », précise-t-on. Charlotte, chargée du suivi des procès de Riposte Alimentaire et Dernière Rénovation, explique que cette « répression judiciaire est assez importante et assez dissuasive, surtout qu’elle demande de l’énergie et du temps. En moyenne, nous avons deux à trois procès par mois. Les 37 audiences à venir sont à la fois des procès en appel et des procès pour des actions menées en 2022 par exemple. »

« Il y a une augmentation de la répression judiciaire depuis ces dernières années »

Cela fait plusieurs années que Charlotte note, au fil des procès, un arsenal judiciaire protéiforme de plus en plus déployé contre les militant·es écologistes. Elle se souvient : « Lorsque les activistes faisaient des actions de blocage de route en 2022, iels avaient seulement un rappel à la loi. Mais, depuis fin 2022, il y a de plus en plus d’amendes et de poursuites judiciaires ». Les procédures judiciaires traînent en longueur sur plusieurs années et les reports d’audiences sont fréquents, la faute à une justice plus que saturée. Par exemple, treize activistes d’Attac et Extinction Rébellion devaient être jugé·es le 17 octobre 2024, pour une action menée contre les jets privés sur l’aéroport du Bourget en septembre 2023. Le procès a finalement été reporté au 23 mai 2025. Les avocat·es des prévenu·es ont affirmé dans une vidéo publiée sur X que ce choix témoigne d’un manque de respect et d’une forme de guerre d’usure contre les prévenu·es et le mouvement écologiste. Selon Lou Chesné, porte-parole d’Attac et prévenue dans ce procès, un fait inédit pour l’association, « le terme de guerre d’usure veut dire que nous devons encore attendre six mois, avec cette préparation et cette charge mentale et émotionnelle qui pèsent sur nous jusqu’au 23 mai. » Et si ce n’était que ça. La porte-parole dénonce également une forme d’acharnement judiciaire du parquet, c’est-à-dire le ministère public chargé de requérir l’application de la loi. Lorsque les activistes sont relaxé·es, le parquet fait systématiquement appel, « sur six procès, nous avons eu cinq appels de la part du parquet », affirme Charlotte. Cependant, les militant·es écologistes font également appel pour certains procès en considérant qu’iels ne doivent pas être condamné·es pour leurs actions de désobéissance civile d’intérêt public. Il y a une grande part d’incertitude qui peut être très stressante, car iels risquent « de prendre plus gros en appel. »

Une charge émotionnelle et financière pour les militant·es

Arrestations, amendes, audiences… ces procédures sont lourdes pour les militant·es et une grande part d’incertitude réside lorsqu’iels se lancent dans des actions. Pour Hugo*, un des prévenu·es dans le procès d’Attac et Extinction Rébellion, sa limite est la prison. « Nous encourons des peines de prison et des amendes de dizaines de millions d’euros. Jusqu’ici, la pratique n’a pas été de mettre de grosses amendes, mais ça ne fait plaisir à personne d’être devant le tribunal. » Pour Lou Chesné, c’est davantage une forme d’habituation face à ces procès. « C’est dramatique je trouve, il faut qu’on repose les pieds sur terre et qu’on se rende compte que c’est n’importe quoi de passer autant de temps et de mettre en œuvre autant de moyens répressifs pour des actions aussi symboliques. »

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Visibiliser les luttes

Les audiences permettent aux activistes de visibiliser la lutte. Leur stratégie est de se faire entendre par le tribunal et les magistrat·es pour expliquer leurs actions et réaffirmer l’urgence de la situation. Hugo* explique que derrière les actions de désobéissance civile non violente, l’intention est de dialoguer avec les institutions, en l’occurrence la justice.  « Ça nous offre une fenêtre de discussion avec les institutions. Nous espérons faire reconnaître à terme que lorsqu’on fait cette action, nous sommes dans une situation de nécessité juridique, nous faisons cela pour protéger nos proches, nos enfants et tout le monde. Le péril est connu de tous·tes. » Les plaidoiries des avocat·es pour défendre les activistes durant ces procès reposent sur deux volets, la liberté d’expression et l’état de nécessité (voir encadré). Les actions de désobéissance civile sont perçues comme le dernier recours des défenseur·ses de l’environnement, après avoir essayé les pétitions et les manifestations. « La liberté d’expression est plus ancrée dans le droit et est donc plus facile à faire reconnaître devant la justice », explique Rémi Donaint, porte-parole d’Alternatiba et d’Action non-violente COP21. « Dans le droit actuel, l’état de nécessité n’est pas bien adapté à la situation écologique », poursuit-il. Il y a quelques affaires où l’état de nécessité a été reconnu dans le cadre du réchauffement climatique. Par exemple, des militant·es de Scientifiques en rébellion ont été relaxé·es par le juge au nom de cet état, pour une action datant d’avril 2022 réalisée dans une galerie du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), à Paris. « Nous essayons de faire avancer cette idée dans les tribunaux et qu’elle devienne une jurisprudence », confie Rémi Donaint.

Deux versants, un frein et un moteur pour continuer la lutte

L’augmentation des procédures judiciaires contre les activistes dissuade, mais constitue également un moteur. Rémi Donaint confirme que « tout un arsenal de répression est déployé pour décourager nos actions et essayer de nous avoir à l’usure. Le combat est toujours inégal mais nous sommes nombreux·ses et déterminé·es, nous continuons. » Selon lui, cette répression renforce les dynamiques et les pousse à la créativité dans leurs actions. Un point de vue partagé par Lou Chesné, pour qui ces procédures judiciaires « ne nous freinent pas dans notre détermination, c’est plutôt un moteur, ça a plutôt tendance à renforcer notre colère. Mais les procès restent un handicap pour l’association, car cela nous demande d’investir du temps et des frais. Un temps qui est perdu sur d’autres actions.»

Focus, l’état de nécessité :

Aux termes de l’article 122-7 du Code pénal l’état de nécessité est une cause d’exonération de responsabilité pénale pour « la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace. » Il s’agit donc d’un fait justificatif au même titre que la légitime défense, l’ordre de la loi ou le commandement de l’autorité légitime, l’impunité s’expliquant en raison de circonstances objectives justifiant la commission d’un acte qui hors d’un tel contexte aurait un caractère punissable. (source Dalloz)

*Le prénom a été modifié

Clémence Le Maître

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