C’est un des derniers bastions quasi-inviolé du patriarcat, et de sa mainmise sur les corps des femmes. La contraception concerne une immense majorité des couples hétérosexuels, mais reste uniquement une charge féminine. Dans Les Contraceptés, les journalistes Stéphane Jourdain et Guillaume Daudin mènent l’enquête sur le sujet encore tabou de la contraception masculine.
C’est l’histoire de deux amis, tous les deux journalistes. Tous les deux aussi dans des relations hétérosexuelles. Ils ont des enfants, depuis peu pour le plus jeune. La contraception se pose spontanément. Et spontanément aussi, la question se décline au féminin. Or la compagne de l’un ne supporte pas bien les méthodes hormonales, celle de l’autre ne souhaite plus prendre sa pilule tous les jours.
Les deux amis se questionnent alors : « un des points de départ de notre enquête, est de nous rendre compte qu’on ne s’était jamais vraiment interrogés sur la contraception de nos compagnes. Ça crée un petit sentiment de vertige » explique Guillaume Daudin, co-auteur de l’enquête.
D’après une étude de Santé Publique France en 2016, 72% des femmes de 15 à 49 ans sont concernées par la contraception. Parmi celles-ci, neuf femmes sur dix déclarent se contracepter, et 77% n’utilisent pas de préservatif. Concrètement, dans 77% des rapports hétérosexuels, c’est la femme qui assume seule le poids de la contraception. Chose curieuse : aucun homme n’est interrogé dans cette étude publique sur la contraception.
Des méthodes qui ont déjà fait leurs preuves, mais toujours pas reconnues
Pourtant, Guillaume Daudin explique qu’« il y a des méthodes qui existent en France aujourd’hui, et qui fonctionnent bien même si elles ne sont pas certifiées par les autorités. Elles ont déjà fait un certain nombre de tests, on peut considérer qu’elles ont une certaine fiabilité : c’est ce qu’on appelle la méthode hormonale et la méthode thermique. Sans bien sûr oublier la vasectomie, et le préservatif. Il y a aussi un certain nombre d’autres méthodes en élaboration. »
Comme il le raconte dans l’album, Guillaume Daudin fait maintenant partie des rares homme qui se contraceptent. D’ailleurs, ajoute-t-il, « je suis toujours contracepté aujourd’hui. J’utilise la méthode thermique depuis un an, et je dois dire que c’est très simple. J’ai juste eu un peu de démangeaisons au début, en un an de contraception c’est le seul effet secondaire. »
Des méthodes qui fonctionnent et qui n’ont pas ou peu d’effets secondaires : idéal non ? Elles sont, pour certaines, utilisées par des hommes depuis plus de 40 ans. Pourtant les autorités sanitaires ne les reconnaissent toujours pas, ne permettant pas leur commercialisation comme dispositif médical.
Vasectomie : des médecins et des hommes
Une avancée est tout de même remarquée en 2001, avec l’autorisation de la vasectomie, ou stérilisation à visée contraceptive. Ainsi, 13 205 hommes ont eu recours à la vasectomie en France en 2019, selon l’Assurance maladie, soit 13 fois plus qu’en 2010. Si cette augmentation peut sembler spectaculaire, ces chiffres sont dérisoires par rapport aux Etats-Unis, ou au Royaume-Uni. En effet, 21% des britanniques étaient vasectomisés en 2008, contre 0,8% des français en 2013.
En France, l’ordre des médecins qualifie la vasectomie d’« intervention mutilante ». Cette opération, pourtant toute simple, suscite des réactions peu amènes chez certains praticiens. Guillaume Daudin nous explique que « pas mal de médecins si on est trentenaire et qu’on n’a pas eu d’enfant disent : “non je ne vous fait pas ça, vous allez voir ailleurs. Vous allez forcément changer d’avis, je le sais mieux que vous, et c’est une mutilation.” C’est une spécificité française. Dans beaucoup d’autres pays les hommes sont peu ou prou les mêmes, mais ils pratiquent beaucoup plus la vasectomie car c’est beaucoup plus proposé par les médecins. »
Les hommes sont alors confrontés à une emprise médicale sur leurs corps qui leur est inconnue. « Ils se rendent compte quand ils commencent à devoir médicaliser leur corps que ça ne se fait pas par leur simple volonté. Il y a des difficultés, c’est une charge de devoir trouver un médecin qui est ok pour pratiquer ce qui est pourtant un droit. Ca peut coûter un peu de sous, ça prends du temps, il faut se renseigner, et ça ne se fait pas de manière si simple que ça. » L’apprentissage salutaire d’une charge que les femmes apprennent à supporter dès le plus jeune âge.
Les Contraceptés – Enquête sur le dernier tabou est paru le 14 octobre aux Editions Steinkis. Une enquête signée Stéphane Jourdain (France Inter), Guillaume Daudin (AFP), et dessinée par Caroline Lee.
Un article de Martin Duffaut. Photo de Une : Editions Steinkis.