Le Révizor par la compagnie Populo : un miroir sur notre conscience

Le Révizor, d’après Nicolas Gogol, était présenté ce week-end au théâtre du 3T, à Saint-Denis. Adaptée par la compagnie Populo et nécessitant trois ans de travail, cette pièce nous interpelle grâce à une vision politique intemporelle, radicale et une scénographie attachante. La troupe a beau être jeune, elle ne laisse pas de marbre. Si vous n’y étiez pas, c’est fort dommage, mais pas de panique, du 20 au 28  septembre 2025, la pièce fera son retour à la Cartoucherie, au Théâtre du Soleil. La compagnie Populo soulèvera alors le masque pour vous montrer le miroir impitoyable de la corruption. Serez-vous prêts à vous y regarder ?

 

Le Révizor

Une petite ville attend l’arrivée imminente du “Révizor”, sorte d’inspecteur envoyé incognito par le gouvernement. Par un quiproquo, un jeune voyageur oisif se fait prendre pour ce fameux Révizor. Le gouverneur et les notables locaux tentent de dissimuler la gestion catastrophique de leur ville et de corrompre cet inconnu pour s’attirer ses faveurs, tandis que le faux Révizor profite des bienfaits nouveaux que lui apporte cette supériorité.

Si cette pièce nous est présentée comme un terreau d’exploration pour questionner des sujets éminemment contemporains : la déshumanisation, la montée du fascisme, la lutte pour la liberté, elle a honoré ce pari. Présentée comme une fable intemporelle, cette pièce nous renvoie à nos propres tares : la soif avide de pouvoir, la corruption morale, avec pour fil rouge la déshumanisation d’une société.

La déshumanisation comme enjeu intemporel

La robotisation de la société est mise en exergue dès la première scène. Tous les comédien.nes se retrouvent ainsi et, sur un fond de métronome , adoptent une posture robotisée. Une résonance plus qu’actuelle dans une société où l’Homme court à sa perte, devenant le pantin d’une société qui le dépasse. La mécanique s’enclenche alors pour laisser place à la métaphore autoritaire proposée, qui permet d’analyser le fonctionnement de soumission d’un microcosme qui court à sa perte, gangrené par la corruption.

Cette pièce reflète avec justesse les enjeux sociaux contemporains. À travers l’étude de ce microcosme, nous sommes renvoyés à notre propre réflexion : cette histoire a eu lieu, a lieu et aura lieu dans n’importe quel pays. Un message essentiel qui trouve sa place aujourd’hui dans une société où les droits conquis sont souvent confondus avec les droits acquis, et où ceux-ci sont plus que jamais menacés sans que cela soit pour autant observé comme un danger.

Tableaux vivants et métaphores : un miroir de nos faiblesses

La compagnie Populo donne au spectateur rendez-vous avec son inconscient, ponctuant la pièce de “tableaux vivants”, des scènes muettes à la forte portée métaphorique. La scène finale, où la trahison est révélée, rassemble ainsi tous les personnages.
Alignée sur une grande table et nous faisant face, elle fait écho au tableau de Vinci « La Cène ». Un tableau pouvant être lu comme une méditation sur le sacrifice, le destin, la foi et la faiblesse humaine, reflétant alors les enjeux de la pièce : Jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour attirer les faveurs d’autrui ? Où s’arrête ma liberté ? Où commence-t-elle ? Quel est le prix de ma trahison ? Pour qui j’agis ? Est-ce toujours par intérêt? Ou encore, ai-je déjà joui d’une éventuelle supériorité face à d’autres ? Que se passerait-il si toute une foule m’adulait ?

Dans cette pièce, où le gouverneur et sa femme sont prêts à faire de leur fille un objet d’échange, la forçant à un mariage arrangé pour s’attirer les faveurs de ce faux Révizor, quel sacrifice suis-je prêt à faire pour m’assurer un propre intérêt ? Telle est la question envoyée en miroir au spectateur.

Le gouverneur se construit une foi et l’utilise sans cesse comme justification de sa bienveillance, qui n’est en réalité rien d’autre qu’une pure mascarade pour s’attirer les faveurs du faux Révizor. Qu’en est-il de la foi et comment intervient-elle pour amener l’humain à ses fins ?

Lors d’un banquet donné en l’honneur du faux Révizor, celui-ci conte et narre ses expériences de vie, fruit d’une imagination débordante. Une illustration poignante de la société : à quel point peut-on se laisser berner lorsque l’on croit que la personne qui nous fait face nous est supérieure ? La scène, fantasmagorique, nous renvoie une fois de plus à nos propres tares avec brio.

Lors de cette fameuse scène, les comédien·nes portent un masque et se couvrent de la peinture. Ce geste illustre la facilité avec laquelle le Révizor trompe son monde, la crédulité de ceux qui l’écoutent et leur aptitude à ne jamais remettre en question ses propos, prouvant que plus aucune réflexion humaine ne peut exister, celle-ci se laissant empiéter par une soif de pouvoir avide.

Se peindre ou se maquiller est une façon de cacher sa véritable nature et ses émotions. Clara Koskas évoquait ainsi Macbeth où le mensonge, la trahison et la duplicité sont centraux, et où la peinture symbolise alors le fait de se cacher derrière une façade trompeuse — comme Macbeth fait semblant d’être loyal alors qu’il prépare un meurtre. La peinture fait office de tache symbolique que l’on porte sur soi, une marque visible de péché ou de remords qui ne s’efface pas.

La compagnie Populo propose alors un art pluridisciplinaire en incluant la marionnette, le théâtre traditionnel et la danse.

L’Homme est un pantin de chair

Un peu plus tard dans la pièce, les comédien·nes sont accompagné·es d’une marionnette. Chacun·e porte la sienne, se trouvant être à taille humaine et à leur effigie. Cette marionnette symbolise alors la perte du libre arbitre, l’effacement de soi derrière un autre, guidé par des pulsions primaires et dénué de réflexion humaine. L’Homme devient une créature désarticulée. La marionnette permet une distanciation nécessaire et nous permet d’observer l’attirance fascinante de la ressemblance entre marionnettes et êtres humains.

L’Homme est un pantin de chair. Cette critique cruelle de l’humanité est une thématique qui revient sans cesse dans les créations de la compagnie Populo. Comme un être à demi-mort, l’Homme agit ou plutôt est régi sans être pleinement conscient de son potentiel vital et du courage que demande le fait de vivre entièrement.

Dans des temps où le capitalisme, la peur, la soif de pouvoir, l’individualisme et bien d’autres phénomènes de masse, comme la corruption deviennent les figures mères de la société, l’Homme va définitivement vers sa déshumanisation.

En valsant avec leurs propres marionnettes, les comédien·nes nous poussent dans nos propres retranchements : à quel point laisse-t-on notre libre arbitre nous abandonner, n’avons-nous pas peur un jour de le laisser s’annihiler? Les marionnettes prennent le dessus, nous rendant aliénées. Tous les personnages auront leur réplique à l’identique, qu’ils « rencontreront » à un moment : ce sera l’éveil de leur propre enfermement.

Souffrance et métaphore : rejet d’une société corrompue et quête de rédemption

Une des scènes marquantes est aussi celle de la femme du gouverneur, qui vomit du sang. Elle illustre un dégoût puissant des actes qui ont eu lieu et extériorise un dégoût de soi, agissant en métaphore comme dégoût de la société. Que sommes-nous prêts à accepter par vanité ? Quelles traces cela peut-il nous laisser ? La souffrance intérieure et le dégoût est bien trop présent et il faut à tout prix l’évacuer.

À la toute fin, le directeur des écoles se voit amener une bassine d’eau, par la fille du gouverneur. Celui-ci, étant le moins corrompu, a la possibilité de se laver de ses péchés. Lors de la scène où la mascarade est révélée, seule la fille réussit à s’éloigner, comme un symbole : elle ne s’est pas laissée corrompre, et peut alors retrouver un semblant de liberté. Cette pièce permet aussi de remettre au centre les femmes : la fille, est la première à quitter le plateau, ayant gardé son libre arbitre.

Dans cette pièce intemporelle justement menée, on rit, on s’étonne aussi. On est transporté et on oscille entre réalité alarmante et poésie sous jacente. La compagnie Populo nous questionne sur les thèmes que sont nos libertés, l’enfermement ou encore la déshumanisation.

Le Révizor est alors satyrique, subversif. La pièce est portée par une troupe de comédien·nes tous aussi talentueux les un·es que les autres, avec justesse, complicité et avec une énergie qui imprègne le spectateur et lui permet d’être présent de la première à la dernière minute.

La compagnie Populo

Clara Koskas, directrice artistique, a créé la Compagnie Populo en 2021, à côté de Marseille, à seulement 22 ans. Elle présente une troupe avec une radicalité artistique et politique qui tend à être plus entendue. Cette compagnie se veut rester intègre à ses valeurs. La passion avec laquelle elle porte ces projets est remarquable et nous espérons qu’elle saura se faire reconnaître à juste titre.

Distribution :

Suzanne Ballier
Maxime Bonnand
Pierre Ophèle Bonicel
Léo Hernandez
Louise Herrero
Clara Koskas
Pénélope Martin
Angélique Nigris
Léo Nivet
Paul Rainaut

 

Production : Gaïa Boumekla

 

Salomé Lepretre

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