Aux États-Unis, sonne l’alarme d’une bascule historique dans les luttes féministes : le droit à l’avortement est enterré. Dans La Peur au Ventre, la réalisatrice, Léa Clermont-Dion, nous promène dans un film documentaire hésitant, au cœur des mouvements pro-choix et “pro-vie” étasuniens comme canadiens.
Anti-avortement : jeunes et mobilisé·es
Iels sont vieux, adultes mais aussi terriblement jeunes. Iels sont d’une droite conservatrice, issu·es de groupes fondamentalistes chrétiens à tendance suprémaciste. Iels sont d’une droite blanche et misogyne qui prend de plus en plus la confiance. Sur leurs pancartes, les mots assènent : « Let Life », « Life begin in the womb » ou encore « I’m just here saving babies ». Au fil de leur manifestation, ce sont aussi les images de bébés démembrés, mutilés, qui ponctuent les cortèges aux messages parfois religieux. D’autres messages arborent des principes d’amour universelles, de paix… au couleurs surtout très anti-IVG. Autant d’outils de désinformation qui alimentent les discours “pro-vie”, ou plutôt anti-choix, à coup d’images mensongères qui jouent brillamment sur les sentiments des plus crédules. Au Canada, ces mouvements anti-avortements sont portés par des groupes tels que Campagne Québec Vie, avec à sa tête Georges Buscemi, qui confie face caméra que sa vie a changé quand il a vu des images de ces “enfants avorté·es”. Une lutte au visage jeune, un mouvement assuré et expansif, au Canada comme aux États-Unis.
Si au Canada, les collectifs et associations anti-avortement sentent monter la fièvre d’un nouveau souffle, le contexte des voisins étasuniens n’y est pas pour rien. En juin 2022, l’arrêt Roe v. Wade de 1973, qui garantissait le droit à l’avortement par la Cour Suprême sur tout le territoire des États-Unis, est révoqué. Une victoire pour les groupes anti-choix, alors que l’avortement n’est plus un droit constitutionnel. Poussés par cet élan, près de vingt-cinq États interdisent ou restreignent l’IVG. Dans le même temps, les États-Unis n’ont jamais connu un dirigeant aussi anti-choix, que le président Donald Trump. Alors, au Canada, c’est un contexte d’urgence qui pousse la réalisatrice Léa Clermont-Dion à cette enquête de terrain entre les deux pays.
Un documentaire hésitant
Face à l’effroi de ces mouvements massifs anti-avortement, galvanisés par les réseaux sociaux, des personnalités d’influence comme Abby Johnson, ou encore les tendances “trad-wife“, La peur au ventre, est un film dans l’urgence qui veut capter un moment de l’histoire. Qu’est-ce que la révocation de Roe v. Wade aux États-Unis a inspiré aux groupes anti-avortement au Canada ? Comment ces mouvements anti-avortements arrivent-ils à rester mobilisés cinquante ans plus tard ? Dans ce dernier film poussé par l’urgence de se mobiliser, Léa Clermont-Dion s’est rendue sur le terrain des luttes pour trouver les réponses à ces questions, tant du côté de ses allié·es, que de ses ennemi·es. Réalisatrice, autrice et chercheuse à l’Université Concordia au Center for the Study of Learning and Performance, elle est également la coréalisatrice avec Guylaine Maroist du film, Je vous salue salope (2022), sur les cyberviolences et la misogynie en ligne.
Parfois documentaire à la première personne, parfois dans le registre du reportage neutre distancié de ses personnages, le film pâtit d’une structure brouillonne, tant formellement que dans son écriture. Dans son film, la réalisatrice, aussi personnage du récit, peine à s’incarner par l’utilisation d’un dispositif selfie maladroitement exploité. Tantôt bassinée par les discours des “pro-vies” qui ne semblent pas honteux d’argumenter pour lui retirer des droits, tantôt chez ses camarades militant·es pour les droits des femmes et de la liberté, le film tente de tirer des fils qui n’en finissent pas de s’emmêler. On se trouve là face à un film qui manque de réels choix formels de mise en scène, piégé dans une réalisation qui ne semble pas vouloir prendre parti. On sent l’empressement légitime de la réalisatrice à vouloir raconter, sensibiliser et surtout avertir. Parfois, un film a aussi besoin de temps pour rester un film.
La peur au ventre n’en reste pas moins un fort avertissement, retraçant aussi des décennies de luttes des militant·es au Canada. C’est aussi une leçon sur les combats menés hier et aujourd’hui, rappelant qu’aucun droit n’est jamais acquis. La Peur au ventre, production canadienne, distribué par Vues du Quebec Production, est à retrouvé dans les salles française dès le 30 avril.
Bertille Hyvon