Hot Pussy Show de Maïmouna Coulibaly

Hot Pussy Show est un spectacle de Maïmouna Coulibaly, percutant, drôle et touchant, adapté de son livre, Je me relève publié en 2021 aux Éditions Anne Carrière. Elle y livre un témoignage sans filtre de son parcours de femme, entre résilience, révolte et quête de liberté. Entretien.

 

 

Originaire du Mali et de Grigny, vivant aujourd’hui à Berlin, Maïmouna Coulibaly est une artiste engagée, autrice, danseuse, comédienne et metteuse en scène. En 2021 paraît son livre, Je me relève, aux éditions Anne Carrière. Elle y partage la réalité des violences qu’elle a subies, sans détour, et nous livre son passé : une excision, des viols, de la violence domestique… Ce récit apporte un autre regard sur la résilience. Il est question de faire bouger les corps, mais aussi les mentalités. Pour Maïmouna Coulibaly, le corps des femmes est politique. Et ce, malgré elles. Il est politique parce qu’elles peuvent se réapproprier leur pouvoir grâce à lui. Elles peuvent exister, être elles-mêmes. Il est aussi politique lorsqu’une femme subit des violences et qu’elle choisit de se le réapproprier, par la danse par exemple.

 

Elle crée ainsi en 1996, la Booty Therapy. Il s’agit d’un art thérapeutique qui vise à retrouver sa féminité, combattre les violences sexistes et sexuelles, en solidarisant les élèves et en les invitant à découvrir et à se réapproprier leur corps. Ce concept s’inspire des philosophies africaines transmises par ses parents, des danses traditionnelles africaines et afro urbaines. Cela fait vingt-sept ans que Maïmouna Coulibaly développe cette danse qui passe par la transe du corps et surtout des fesses. Elle l’a transmise à plus d’une quinzaine de milliers de femmes en France, en Allemagne, en Suisse.

 

La Booty Therapy

Maïmouna Coulibaly racontait dans un entretien : « Depuis le premier souvenir de ma vie, je devais me battre pour avoir le droit d’exister, de respirer, de bouger ». Créer la Booty Therapy, c’était créer un espace sain, dans sa tête, son cœur, son ventre et sa vulve. Quelque part où se réfugier quand quelque chose de terrible lui arrive. C’est une pratique unique, qui la berce et la console, mêlant sport, danse, et développement personnel. Une façon de se réapproprier l’espace. Il n’y a pas de place pour les conventions et les diktats. Peu importe le corps, l’âge, la taille, la couleur de peau, la couleur de cheveux, le style vestimentaire, une seule chose compte : l’envie de se dépasser en bougeant son corps et pouvoir s’assumer tel que l’on est.

 

Inspiré de son livre, Maïmouna Coulibaly écrit, interprète et chorégraphie, Hot Pussy Show, un seule en scène d’une rare intensité, mis en scène par Gilles Ramade. Créée au Festival Avignon Off en juillet 2022, la pièce agit en défouloir, comme une manière de se délivrer des traumatismes, les comprendre, les vivre ensemble afin de développer une forme de résilience et de les dépasser. La voix et le corps se confondent, deviennent des moyens d’empowerment. C’est à la fois un remède, une cure, une thérapie. La parole est, pour une fois, donnée aux femmes et aux minorités de genre et témoigne de leur vécu et des violences intersectionnelles, avec humour et fierté. Le spectacle, qui affronte des sujets tabous, oscille avec brio entre théâtre, stand-up, chant et danse. La scénographie est simple, minimaliste : un tabouret de bar, un porte manteau et un fly case. Il n’y a pas besoin de plus, car Maïmouna Coulibaly prend, grâce à sa prestance, toute la lumière. Elle nous partage ses pensées, ses humeurs, ses observations, les joies et les peines qui ont jalonné sa vie.

 

 

Une claque, un bouleversement

Émancipateur et percutant, le Hot Pussy Show ne nous laisse pas indemnes. Si les sujets évoqués sont d’une rare violence, tant par la multiplicité de ceux-ci que par leurs essences, ils sont évoqués avec ce subtil mélange qui mêle comédie et tragédie. C’est énergique de bout en bout, engagé et éducatif. On pleure autant qu’on rit, on crie et on se libère ensemble. La douceur se mêle à la violence nous laissant sans voix, avec la chair de poule. Une claque, un bouleversement, voilà ce que l’on ressent. Une chose est sûre, personne n’en sort indifférent.

 

Ce spectacle est produit par la Compagnie Les Ambianceuses, créée en 2003 par Maïmouna Coulibaly. La première compagnie de danse et de théâtre afro urbaine en France regroupe des femmes de toute origine, d’âges, de milieux sociaux et de morphologies différents. Elles s’engagent aussi dans des projets socio-culturels en proposant des ateliers auprès de jeunes dans des collèges. Les Ambianceuses n’ont qu’une devise : « Laissez la fièvre vous envahir ! ».

 

 

Entretien avec Maïmouna Coulibaly

 

Votre spectacle « Hot Pussy Show » est une adaptation de votre livre « Je me relève » publié en 2021 aux Éditions Anne Carrière. Pourquoi avez-vous choisi de faire cette adaptation ?

Maïmouna Coulibaly : Lorsque j’ai commencé à écrire ce livre, mon point de départ était de partir de tous les traumatismes que j’ai pu avoir dans ma vie, c’était donc très négatif et dur. Il me fallait quelque chose pour compenser. À côté de ça, j’ai commencé à écrire des blagues, des passages, en changeant la narrative et en prenant un autre point de vue. J’avais besoin d’avoir une tonalité plus légère pour compenser. Quand j’écrivais le livre, je criais, je hurlais, je m’évanouissais ou je vomissais. J’avais des réactions au niveau du corps. C’était important pour moi que ça puisse surgir au niveau du rire. Parce que c’est démotivant de parler de ces sujets-là, si ça ne fait que nous plomber. Avec mon metteur en scène, Gilles Ramade, nous avons pris des petits bouts de ces passages plus comiques et d’autres passages du livre pour en faire un spectacle.

 

Combien de temps avez-vous mis pour monter ce show ? 

J’avais réalisé une première version du spectacle en 2021. Dans la version finale, il doit rester un tiers de cette version. Ensuite, mon metteur en scène m’a incitée à aller chercher des éléments du livre que je n’osais pas prendre et finalement, je trouve que ça fonctionne bien. Nous nous sommes vus deux fois pour préparer le festival d’Avignon et nous avons beaucoup parlé et réfléchi. C’était assez simple de mettre tous mes délires en scène. J’avais du mal à les jouer sur scène, les passages difficiles. Même ma mémoire ne voulait pas, je n’arrivais pas à retenir le texte, que j’avais pourtant écrit. Je ne voulais vraiment pas traverser ces événements à nouveau. Aujourd’hui, ça va mieux, j’arrive plus à m’amuser et à ressentir les émotions, mais sans les subir. Je pense que c’est important et que c’est la meilleure manière de faire passer ce que je veux dire. J’aimerais aussi dédramatiser la chose et décomplexer les personnes pour qu’on soit de plus en plus nombreux·ses à parler.

 

Votre spectacle est un seul en scène qui mélange théâtre, stand-up et danse. Quel est votre rapport à la danse ? 

J’ai un rapport particulier à la danse, puisque l’art est mon métier principal. J’utilise la danse pour me guérir, pour lutter contre la dépression et mettre en avant tout ce que j’ai de positif en moi. Je n’ai jamais vraiment été complexée par mon corps. Parce que dès que je me mets à danser, je trouve de l’harmonie. Avec la danse, on est comme dans une autre dimension, on n’a pas les mêmes critiques et standards, c’est pas les mêmes diktats de l’esthétisme. Il y a quelque chose d’universel dans la danse. Nous sommes connecté·es à nos émotions, nous n’avons pas besoin de parler. Dans les cours de danse que je donne, je vois que de nombreuses élèves deviennent amies juste parce qu’elles ont dansé dans la même salle. Il y a eu une connexion tellement forte, elles se sont comprises sans même se parler. Pour moi, la danse est magique.

 

Vous avez créé le concept de la Booty Therapy ? Pouvez-vous l’expliquer ?

La Booty Therapy, pour le dire simplement, est le fait de bouger ses fesses pour assumer sa féminité, sa part de féminité ou sa non-binarité. S’assumer tel·le qu’on est, en mettant dehors toutes les pressions familiales, sociétales, etc. La Booty Therapy s’inspire des danses afro-urbaines, le Ragga Rancehall de la Jamaïque, le N’Dombolo du Congo, le Coupé-décalé de la Côte d’Ivoire, le Kuduro de l’Angola, le Soca de Trinité-et-Tobago. En bref, toutes les danses d’origine africaine où les fesses bougent, c’est ça qui m’a attirée. À l’origine, c’est important de le rappeler, ce sont des danses de résistance. Derrière, il y a le côté lâché prise et guérison. J’ai pris toutes ses danses pour en faire des recettes, des espèces de médicaments pour guérir les différents maux qu’on peut avoir. J’ai créé au moins deux cents chorégraphies et chacune d’elles est une réponse à un traumatisme que j’ai pu avoir dans ma vie. Dès que quelque chose ne va pas, je mets de la musique et je danse, il faut que ça sorte et que ça passe par la chorégraphie.

 

Est-ce que vous observez cela aussi chez vos élèves lors de vos cours ? 

Oui absolument. Entre le début d’année et au bout de deux à trois mois de cours, je vois de grandes différences chez mes élèves. Ce sont des personnes différentes, plus en confiance, plus sûres d’elles-mêmes, qui assument leurs corps et ça se lit dans leurs postures. Lorsqu’on est une petite fille, on nous apprend à se la fermer, on nous dit : « Cache tes seins, cache tes fesses, rentre ton ventre. Si tu te fais violer, c’est de ta faute, si t’es trop sexy, c’est de ta faute ». Dans mes cours, je leur dis : « Sois toi-même, prends la place et la puissance ». Tout cet espace qu’il n’y a pas dans l’espace public, dans la société. J’aime leur apprendre à prendre de la place, avec leurs seins, leurs fesses, leurs chattes. Personne ne nous apprend cela. On nous dit qu’il ne faut pas le faire pour que ça profite à d’autres personnes, qui en profitent contre nous-mêmes.

 

Ce spectacle est-il toujours bien accueilli par le public ? 

En général, ça se passe bien. Lors d’un festival, on nous a dit qu’on aurait dû prévenir et mettre un trigger warning [N.D.L.R. un avertissement au public], parce que certaines personnes sont reparties assez chamboulées du spectacle. Le public participe presque tout le temps. J’observe qu’il y a quelque chose qui se crée dans la salle, lors des moments difficiles du spectacle, il y a un effet de groupe, le public sait qu’il n’est pas tout seul pour supporter ce que je suis en train de raconter. À  la fin, tout le monde rit. C’est ça, la force des adelphes, quand nous sommes ensemble, il y a quelque chose de fort qui existe. Alors que dès que nous sommes dehors, dans l’espace patriarcal, tout d’un coup, il faut se réduire, se méfier. Les hommes ne viennent pas beaucoup à mon spectacle. Ils devraient pourtant ! À Avignon, plusieurs hommes m’ont remerciée et m’ont dit que ce spectacle était important, qu’ils avaient pensé à leur fille, à leur mère ou leur copine. Ils m’ont dit aussi qu’ils s’étaient questionnés sur leur propre comportement qui pouvait être problématique.

 

Quels sont vos projets à venir ? 

J’ai écrit ce spectacle dans le but de le jouer jusqu’à la fin de ma vie, je vais voir comment ça va se passer pour la danse ! J’adapterai. Je l’ai joué à Berlin, à Marseille, Paris, Cologne en festival notamment. Je rejoue ce spectacle au théâtre Darius Milhaud, le 15 et le 22 mai à 21h15. À 19h, il y aura une représentation de « Hééé Mariamou ». Un spectacle que j’ai écrit et mis en scène en 1998, ouvert à un public plus jeune [à partir de 12 ans] et qui est toujours d’actualité. Il parle de la double culture, le fait de trouver sa place en tant qu’adolescente en France lorsqu’on est d’origine étrangère. Par ailleurs, je commence un projet d’écriture autour du matriarcat, en m’inspirant de certains systèmes matriarcaux africains. Ma première ressource pour ce projet est ma mère. Je trouvais qu’elle n’agissait pas du tout comme les mamans que je pouvais voir en France, mais,  je me suis rendu compte au fil du temps qu’elle avait raison sur énormément de choses. Je m’inspire aussi de mes cours de Booty Therapy et des cercles de femmes. J’essaye de voir comment les cercles de femmes, d’adelphes et les cercles d’hommes peuvent s’apporter quelque chose. Dans la société patriarcale, l’homme écrase tout, alors que dans une société matriarcale, chacun·e a sa place, c’est complémentaire. Je souhaite en faire un livre et un spectacle par la suite !

 

Hot Pussy Show, mis en scène par Gilles Ramade et Maïmouna Coulibaly, se rejouera le 22 mai à 21h15, au théâtre Darius Milhaud dans le 19e arrondissement. Le spectacle est ouvert au public à partir de 16 ans et comprend des trigger warning.

 

Salomé Lepretre et Clémence Le Maître

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