Le procès de l’acteur Gérard Depardieu s’est tenu pendant quatre jours. Il a révélé une méthode de défense basée sur la victimisation secondaire, une double peine infligée aux victimes de violences sexistes et sexuelles.
C’est inédit. Le comportement de l’avocat de Gérard Depardieu, agressif et « misogyne parmi les misogynes », choque dès le début des quatre jours de procès. Les avocates des plaignantes qui accusent Gérard Depardieu d’agressions sexuelles ont demandé 10 000 euros pour chacune de leurs clientes, au titre de la « victimisation secondaire » subie pendant l’audience.
Le 27 mars 2025, au Tribunal correctionnel de Paris, le procureur de la République requiert au dernier jour une peine de 18 mois d’emprisonnement assortis d’un sursis probatoire de 3 ans et une peine de 20 000 euros d’amende contre Gérard Depardieu. Il demande aussi une obligation de soins psychologiques, une indemnisation pour les parties civiles et une inscription au fichier des auteurs d’infractions sexuelles. Voilà pour l’acteur, et les faits commis sur le tournage du film « Les Volets verts » en 2021. Le jugement est mis en délibéré au 13 mai 2025.
Mais c’est Me Jérémie Assous, l’avocat de l’acteur, qui plaide la relaxe, dénonçant avec virulence « deux cas montés de toutes pièces » et des femmes motivées par la « haine » et un désir de « vengeance » à l’égard de son client, qui suscite la colère des avocates des plaignantes. Me Carine Durrieu Diebolt et Me Claude Vincent dénoncent le « sentiment de toute-puissance » de l’avocat, protégé par un « système d’impunité ».
« Ce n’est pas neutre ces pratiques de la défense, c’est de la victimisation secondaire »
« Ce n’est pas neutre ces pratiques de la défense, c’est de la victimisation secondaire. Et ça se traduit comment ? Préjudice moral aggravé, c’est des dommages et intérêts supplémentaires », assène Me Carine Durrieu Diebolt lors de son plaidoyer. Les audiences ont été pour les deux plaignantes, en plus du préjudice subi à l’origine, une souffrance supplémentaire.
Jérémie Assous accuse les plaignantes, les traite de « menteuses », « vénales », « hystériques ». Des termes brutaux, sexistes, qui participent à la culpabilisation et la remise en cause de leur parole. Marine Turchi, journaliste à Médiapart et présente à l’audience, délivre quelques détails révélateurs du mépris manifeste que la défense affiche : Me Assous n’arrive pas à prononcer le nom des plaignantes et de leurs avocates correctement.
Des invectives sexistes contre les avocates
Les deux avocates ne sont pas épargnées par les invectives sexistes et humiliantes de l’avocat de Gérard Depardieu. Au troisième jour du procès, le rang des parties civiles est plein. Des membres de l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) ont rejoint les deux avocates pour les soutenir, car l’ambiance est nauséabonde.
Dans une tribune publiée le 28 mars sur le site du journal Le Monde, un collectif d’avocates et d’avocats appelle la justice à ne pas laisser passer ces méthodes : « Le sexisme contre les avocates ne doit plus avoir sa place en audience ». Les signataires du texte regrettent « le mutisme absolu du tribunal dans son ensemble » et « l’absence de réaction de l’ordre des avocats » face aux invectives de Jérémie Assous. Le barreau de Paris, sollicité par l’AFP a réagi : « Il existe des règles en la matière, et une police de l’audience et de règlement des comportements des avocats à l’audience. […] Nous étudierons, le cas échéant, s’il y a eu des manquements au regard de la déontologie ».
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Une notion non inscrite dans la loi française
La victimisation secondaire n’est pas inscrite dans la loi française, mais dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Dans la Recommandation 2 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur les droits, les services d’aide et le soutien des victimes de la criminalité, adoptée le 15 mars 2023, l’article 1 définit la victimisation secondaire comme : « La victimisation qui résulte non pas directement de l’infraction pénale, mais de la réponse apportée à la victime par les institutions publiques ou privées, et les autres individus ». La députée NFP Sarah Legrain a écrit et déposé une proposition de résolution intitulée « Mettre fin à la victimisation secondaire lors des procédures judiciaires pour violences sexuelles », le mardi 19 novembre 2024.
Le procès Pélicot : mise en lumière de la victimisation secondaire en France
La victimisation secondaire a émergé dans le débat public lors du procès Pélicot et a fait l’objet d’articles dans plusieurs médias. Gisèle Pélicot a subi une victimisation secondaire par l’allégation de la défense d’une complicité avec son ex-mari. Elle avait affirmé : « J’ai l’impression que la coupable c’est moi et que derrière moi les 50 sont victimes. […] Je comprends que les victimes de viol ne portent pas plainte ». À l’issue du procès, en décembre 2024, Christophe Bruschi, l’avocat d’un des accusés, avait traité les femmes venues soutenir Gisèle Pélicot devant le tribunal correctionnel d’Avignon « d’hystériques » et de « tricoteuses ». Le barreau de Lyon avait indiqué à l’AFP avoir ouvert une enquête « déontologique » sur ses propos.
Pour en savoir plus sur la victimisation secondaire :
- Violences sexuelles : déçues par la justice, des plaignantes se tournent vers l’Europe, Médiapart.
- L’avocate Carine Durrieu Diebolt a écrit un livre qui sortira en mai 2025 intitulé Violences sexuelles : quand la justice maltraite. Les leçons du procès Pelicot aux éditions Syllepse dans la collection « Avant-première ».
Clémence Le Maître