Le 1er mai 2024, une vingtaine de militant·es d’Extinction Rébellion avait repeint la façade en verre de l’immeuble de la Direction générale de l’aviation civile (DGAC), avec des extincteurs et des balles de peinture lavable à l’eau. Un geste de protestation contre le projet d’expérimentation de « taxis volants » sur la Seine. Perquisitions, gardes à vue, et autres méthodes abusives ont été utilisées contre les militant·es. Six d’entre elleux sont en procès.
Le procès contre plusieurs militant·es d’Extinction Rébellion devait avoir lieu ce jeudi 23 janvier, au Tribunal de Grande Instance (TGI) des Batignolles, à Paris. Il a finalement été reporté à juin 2026. Le 1er mai 2024, iels avaient aspergé la façade en verre de l’immeuble de la Direction générale de l’aviation civile, avec des extincteurs et des balles de peinture (lavables à l’eau). Six d’entre elleux étaient convoqué·es ce jeudi 23 janvier, accusé·es notamment de dégradation de matériel. Ce geste avait pour but de dénoncer une aberration écologique : les taxis volants.
Les taxis volants sont, sur le papier, destinés à réduire les embouteillages et faciliter les déplacements rapides en milieu urbain. En réalité, il s’agit d’une absurdité écologique. L’autorité environnementale (AE) avait d’ailleurs émis un avis défavorable sur le projet.
Pour dénoncer ce projet climaticide, les militant·es d’Extinction Rébellion ont mené une action de désobéissance civile en repeignant la façade de la DGAC. Arrêté·es peu avant les Jeux Olympiques, iels ont été en proie à des méthodes d’enquêtes illégales pour ce type de délit, des perquisitions injustifiées et des gardes à vue répétées, ainsi qu’une intrusion dans leur vie privée.
Alexis Baudelin, spécialiste du droit pénal militant, est l’un des avocats d’Extinction Rébellion. Il nous a éclairé·es sur les enjeux de ce procès. «: « En plus d’être intrusives, ces mesures sont contraires au droit européen en ce qu’elles n’apparaissaient ni nécessaires ni proportionnées. Nous allons plaider la relaxe. »
Une carte blanche à la gendarmerie donnée par le procureur
Dans cette affaire, le procureur a donné carte blanche à la gendarmerie. Elle avait ainsi une totale liberté et aucune limite pour retrouver les auteur·ices de ces infractions. Les mesures d’enquêtes prises se sont révélées abusives et “dignes d’une affaire criminelle” nous confie Alexis Baudelin.
Extinction Rébellion est un mouvement international de désobéissance civile à caractère pacifique. Rien ne peut donc justifier les mesures prises ici à l’encontre de ces militant·es.
Reconnaissance faciale pour identifier les personnes, réquisitions auprès d’organismes comme la CAF, les syndics de copropriétés ou encore les caisses de sécurité sociale… Même les opérateurs de téléphonie ont été contactés pour obtenir, entre autres, une géolocalisation en temps réel des personnes par la gendarmerie.
« Si autant de mesures intrusives et privatives de libertés ont été prises de la part du parquet, c’est pour dissuader les militant·es de continuer à agir de la sorte. En plus d’être intrusives, il y a dans cette affaire une inégalité, une contrariété, à l’égard du droit européen» souligne Alexis Baudelin.
Pour Eli, militante, ces mesures avaient pour but de les effrayer et les mettre à l’arrêt. « Ils ont vérifié auprès des copropriétés pour avoir les codes d’entrée de nos immeubles, ont appelé la CAF pour avoir nos adresses, EDF… Tous ces organismes qui ont été appelés ont été mis au courant qu’il y avait une enquête sur nous. Il y en a qui ne se sentent plus à l’aise dans leurs propres immeubles, avec leurs voisins. C’est un niveau de répression, pour de la peinture à l’eau, qui est effarant. »
Que risquent les militant·es durant ce procès ?
Les militant·es risquent 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. À cela s’ajoutent des infractions accessoires, nous expliquait Alexis Baudelin. Pour certain·es, il s’agit du refus de donner leurs ADN et pour l’un·e d’entre elles·eux, le refus de donner le code de son téléphone. L’infraction principale reste celle de la dégradation en réunion.
« On a subi un dommage. On y va en voulant que tout ce qui a été mis en place contre nous soit reconnu comme étant extrêmement disproportionné par rapport au délit qui a été commis. » nous confie Eli.
Une affaire qui a eu lieu quelques jours avant les Jeux Olympiques
Cette affaire s’est déroulée quelques jours seulement avant la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques en juillet 2024. Difficile alors de ne pas faire le lien, sachant que les militant·es avaient l’intention de dénoncer, sans violence, la façon dont avaient été organisés ces jeux. Iels voulaient mettre en lumière la brutalisation de personnes sans-papiers qui a eu lieu, les personnes décédées sur les chantiers, et ainsi montrer la face cachée de ces Jeux Olympiques.
« Six mois avant les JO, il n’y a jamais eu autant de perquisitions, de contrôles judiciaires. Les gens embarqués dans des procès ne pouvaient pas entrer en contact. Il y a eu une volonté d’empêcher de réfléchir, d’organiser des actions ensemble. Précisément dans notre cas, la perquisition, la garde à vue, le défèrement au tribunal, les privations de liberté pendant 60 heures, tout ça est arrivé 3 jours avant la cérémonie d’ouverture. On pense que ce n’est pas pour rien », nous confiait Eli.
Une répression généralisée
Si les mesures prises pour cette affaire scandalisent, elles s’inscrivent plus largement dans une répression généralisée, nous explique Eli. « Cette répression concernait déjà les personnes ayant moins la chance d’être suivies par des avocat·es que nous et qui, à ce titre se faisaient écraser par la justice avec une violence inouïe. Maintenant, on se rend compte que progressivement, ça atteint des personnes dans des cadres militants, relativement plus protégés. Cela prouve qu’il n’y a plus aucune limite. Ils se sentent tout permis et ça en dit long sur le niveau de radicalisation du pouvoir. »
Un rapport datant du 28 février 2024 met en exergue les interdictions de manifester, les interventions brutales des forces de l’ordre, les humiliations, les intimidations, l’assimilation au terrorisme, la création de nouveaux délits ou encore les lourdes condamnations dont les militant·es écologistes sont désormais la cible. « La répression que subissent actuellement en Europe les militant·es écologistes, qui ont recours à des actions pacifiques de désobéissance civile, constitue une menace majeure pour la démocratie et les droits humains », alertait ainsi Michel Forst, rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs de l’environnement.
Quelle finalité pour ces taxis volants ?Les taxis volants sont une idée qui restera lunaire.Volocopter, l’entreprise allemande fondée en 2011 et qui devait faire voler des taxis lors des JO de Paris, est contrainte de déposer le bilan, faute de financement. La RATP a, quant à elle, abandonné le projet et le Conseil d’État lui, l’a retoqué. Le projet ne décollera donc jamais. Si cette idée climaticide ne verra jamais le jour, la planète a néanmoins de quoi broyer du noir, puisque cette affaire met en avant le bâillonnement du militantisme et a de quoi nous inquiéter. |
Salomé Lepretre