Le film documentaire Direct Action de Guillaume Cailleau et Ben Russell, au cœur de l’actuelle Notre-Dame-des-Landes, nous plonge dans le quotidien des habitant·es de l’ancienne zone à défendre contre la construction de l’aéroport Grand-Ouest. Loin des images sensationnalistes dont nous avons l’habitude, loin des affrontements et de la violence, ce sont les gestes au rythme de la vie qui ont gagné avec l’abandon du projet. Direct Action est à retrouver en salle le 20 novembre 2024.
Notre-Dame-des-Landes après la victoire
Au creux d’un écran d’ordinateur, la voix d’un homme nous guide dans ses souvenirs de la ZAD. Les fichiers soigneusement archivés de son caméscope ont accompagné la lutte de Notre-Dame-des-Landes depuis 2012, lorsque le territoire devient une zone à défendre, jusqu’à l’abandon de l’aéroport Grand-Ouest en 2018. S’offrent à nous, comme un secret, les flics, le gaz, le concert mécanique des machines qui renversent les cabanes, mais surtout le son des voix qui crient leurs colères. Les confrontations : ce sont-là les premières images qui nous viendraient à l’esprit en pensant à Notre-Dame-des-Landes. Nous quittons l’écran d’ordinateur. Aujourd’hui tout reprend avec l’image du phare de la Rolandière, celui qui aurait pu être la tour de contrôle d’un aéroport, et le temps s’est ralenti.
Direct Action, le film de Guillaume Cailleau et Ben Russell, nous transporte dans le présent de Notre-Dame-des-Landes et le quotidien de ses habitant·es. Ce sont pour certain·es, les ancien·nes occupant·es de la ZAD, ancien·nes squatteur·ses, engagé·es dans sa défense et que l’Etat français aura qualifié « d’éco- terroristes”. Le projet régional d’aéroport Grand-Ouest, vieux des années 1960, ce n’était pas moins de 580 millions d’euros, conduisant à la destruction de 1700 hectares de bocages, de terres agricoles et de zones humides. NDDL depuis n’est plus une zone autonome mais s’est légalisée avec la victoire. Les militant·es vivent cette terre aujourd’hui, là où le béton n’a pas coulé. Un espace de vie, mais qui lutte encore, par la perpétuation de ces gestes quotidiens parfois oubliés et un soupçon d’utopie. De lutte aussi, parce que c’est là que se sont créés les Soulèvements de la Terre et où s’organisent encore de nombreux collectifs.
Le documentaire fait le choix d’une forme radicalement sobre. Par un dispositif au plus proche du cinéma direct, le montage se fait presque absent. L’image tournée en 16 mm, accumule comme des tableaux, de très longs plans fixes où s’étire le travail du bois à la scierie, du travail maraîchers, de la forge, l’atelier de sérigraphie, les soirées commémoratives… Direct Action ne nous fait pas suivre de personnages, la voix reste traitée par le son dans un rapport périphérique, toujours synchrone, choisissant un récit collectif et anonyme.
Ce n’est pas cela qu’il faut filmer
La troisième partie du film nous projette à Sainte-Soline les 24 et 25 mars 2023, lorsque que 30 000 militant·es affluaient dans les Deux-Sèvres pour un week-end de mobilisation anti-bassines à l’appel des Soulèvements de la Terre et de Bassine Non Merci. Toujours dans un traitement très naturaliste, les plans larges renvoient dans les champs de colza, recouverts par les nuées blanches des gaz, submergées par les bleus de travail et les k-way noir. Au loin, les camions de gendarmes et les deux camps qui s’opposent… Une manifestante interpelle la caméra : « Ce n’est pas cela qu’il faut filmer ! », et nous revoilà sur la ZAD. C’est là tout le propos porté par le film.
Lorsque son titre pourrait nous laisser attendre un film au rythme intense de combat et de luttes, les deux réalisateurs rappellent que l’action directe, c’est la vie discrète des communautés qui habitent aujourd’hui NDDL. C’est le travail, les fêtes, les repas, la fabrication du pain, des crêpes… Une vie alternative, celle pour laquelle il fallait défendre les terres, projetant l’imaginaire militant hors de la violence des confrontations.
Pour autant, Direct Action n’est pas un film militant. Le sujet du film, ce sont les activistes, leurs vies et leurs luttes, mais cela ne rend pas le documentaire militant. Un film traitant de pratiques et d’actions politiques, n’a pas à se contraindre d’être pamphlétaire. Il peut rester un objet artistique qui propose une expérience sensible, qui rend ses spectateur·ices actif·ves, les accompagnant dans le cheminement de leurs réflexions. Pour autant, la question du public paraît intéressante à poser. Direct Action ne me paraît pas être un film militant dans la mesure où il n’a pas été pensé pour être accessible au-delà d’un public aux regards et à l’écoute déjà aiguisés.
Pour quel public ?
C’est parce que Direct Action, n’est pas facile à regarder. Premièrement par sa durée de 216 minutes, accablée d’un rythme à la limite du supportable pour un·e spectateur·ice non averti·e, mais aussi d’une narration presque absente et un effet catalogue. Il me reste alors le goût amer d’un film austère excluant de fait une bonne partie du public qui souhaiterait entrer dans cette histoire. Direct Action est un film élitiste à l’accessibilité rendue très limitée, car sa radicalité exige beaucoup d’efforts pour suivre son récit. Le film de Guillaume Cailleau et Ben Russell témoigne d’un exemplaire et long travail en immersion sur l’ancienne ZAD et je me réjouis que ce film existe. Il rend palpable les contours d’un monde possible et désirable, tourné vers le présent, que l’on aimerait diffuser plus que n’importe quel autre et qui reste porté par assez peu d’œuvres au grand public.
Finalement, Direct Action m’aura davantage donné matière à réfléchir quant aux questions de représentation de ces imaginaires par des artistes, des conditions de leurs accessibilités, que par le sujet même du film. Ces imaginaires émancipatoires et réenchantés, qui laisse-t-on s’en emparer ? Pour qui souhaitons-nous les faire circuler ? Quel aurait été ce film réalisé par des agriculteur·es, des habitant·es, des squatteur·ses, anarchistes, des militant·es ? Il n’y a qu’en retournant au cinéma qu’on pourra trouver des réponses.
Bertille Hyvon