Cette procédure-bâillon, menée par Energy Transfer qui réclame 300 millions de dollars à Greenpeace USA, menace de faire disparaître l’ONG aux Etats-Unis. Dans le Dakota du Nord, l’entreprise américaine accuse l’ONG de dégradations sur le chantier du projet Dakota Access Pipeline en 2016 et 2017. Ce projet avait soulevé plusieurs protestations et manifestations, notamment des populations autochtones.
L’histoire commence en 2016. Cette année-là, Energy Transfer, une multinationale américaine spécialisée dans les énergies fossiles est satisfaite. Elle va pouvoir relancer son projet d’extraction de pétrole, suspendu par Barack Obama, et fraichement relancé par le nouveau président Donald Trump. Ce projet, c’est le « Dakota Access Pipeline », un gigantesque oléoduc qui court sur 1 825 km et traverse l’Illinois et le Dakota du Nord. Le « Dakota Access Pipeline » achemine environ 570 000 barils de pétrole brut par jour et parmi les nombreux sites concernés par l’oléoduc, se trouve une réserve où vivent des populations autochtones, notamment la tribu Sioux de Standing Rock.
En avril 2016, les populations locales se sont érigées contre la construction de l’infrastructure. Elles ont notamment intenté une action en justice qui n’a toutefois pas abouti. « Pour ces populations le projet d’oléoduc est une véritable catastrophe environnementale, explique Clara Gonzales, juriste pour Greenpeace. Si nous sommes accusé·es à tort par Energy Transfer c’est parce qu’à l’époque, Greenpeace USA avait apporté son soutien aux populations autochtones qui luttaient contre ce projet. »
Une amende de 300 millions de dollars
En 2017, Energy Transfer porte plainte contre Greenpeace USA et d’autres ONG. La multinationale accuse Greenpeace d’avoir orchestré les manifestations contre le projet d’oléoduc mais aussi d’avoir mené une campagne de désinformation. « Cette plainte représente une attaque de deux piliers fondamentaux de notre société que sont la liberté d’expression et le droit de protester, affirme Clara Gonzales. Cette accusation est rejetée par un juge fédéral en 2019, et peu après, Energy Transfer dépose une nouvelle plainte auprès d’un tribunal de l’État du Dakota du Nord. » Cette fois-ci Energy Transfer décide d’attaquer Greenpeace USA et Greenpeace International en réclamant un dédommagement de 300 millions de dollars. « Selon où le procès est mené, nous connaissons nos chances de gagner car la justice est rendue par des magistrat·es issu·es de la société civile de la région, abonde Clara Gonzales. Le Dakota du Nord est un état conservateur et très favorable à Donald Trump. Il faut donc se tenir prêt·es à toute éventualité. Si Energy Transfer gagne, c’est la fin de Greenpeace USA. »
La faille : une poursuite-bâillon
Malgré des circonstances qui ne lui sont pas des plus favorables, l’ONG n’a pas dit son dernier mot. En effet, les juristes de Greenpeace qui se sont emparé·es du dossier semblent avoir trouvé “une faille” dans le dossier. Iels dénoncent ainsi ce qu’iels estiment être une procédure-bâillon, fondée sur aucune preuve, hormis la stratégie politique.
« Ce qui est intéressant dans ce cas, c’est qu’Energy Transfer a choisi d’attaquer non seulement Greenpeace USA mais également Greenpeace International, dont le siège est au Pays-Bas donc en Europe, pour espérer récolter plus d’argent, explique Clara Gonzales. Mais depuis mars 2024, l’Union Européenne a adopté une loi contre les procédures-bâillons pour protéger les associations présentes sur le territoire des pays membres. »
Cette loi indique notamment que « si une personne publique ou morale vivant dans l’UE est visée par des poursuites-bâillons dans un pays tiers, les États membres de l’UE doivent refuser la reconnaissance et l’exécution de la décision rendue dans ce pays tiers si la procédure est considérée comme manifestement infondée ou abusive dans l’État membre en question. » Ainsi, si Energy Transfer gagne son procès aux États-Unis, la décision ne pourra pas être exécutée en Europe, vu que Greenpeace International a son siège aux Pays-Bas. Même si cette procédure menée en Europe ne suffirait pas à sauver Greenpeace USA, elle permettrait au moins à l’ONG de se protéger de futures plaintes.
En attendant de connaître le sort de l’ONG aux États-Unis, le procès qui devait se tenir en juillet 2024 a finalement été repoussé et débutera en février 2025.
Yoanna Sallese