La caméra, comme tous les objets, n’est pas neutre. “Une caméra c’est fait par des gens. […] et même les caméras sont marquées par celles et ceux qui les font”. En cela, la caméra c’est d’abord l’outil de la domination et du pouvoir “l’image d’enregistrement, elle va servir dans ce qu’on a appelé “l’aventure coloniale” ou l’entreprise coloniale, elle va servir au recensement des populations, elle va servir aussi dans tout un tas d’institutions, l’institution policière en particulier mais aussi les institutions psychiatriques.”
Une arme militante
Pourtant, le développement technique de l’outil et sa marchandisation au “grand public” vont permettre à celles et ceux qui contestent l’ordre établi de s’en saisir. Dans les années 50 des militants comme René Vautier vont filmer les luttes d’indépendance et les grèves ouvrières. Des militantes comme Carole Roussopoulos vont également faire sortir la caméra des studios pour filmer la rue.
“Elle a filmé les luttes de sons temps, les années 70, les luttes ouvrières, mais aussi et surtout les luttes féministes”. Des collectifs vont aussi émerger en France et à l’étranger. En argentine le Grupo Cine Liberación, produira des films comme L’heure des brasiers dénonçant le capitalisme mondialisé et la colonisation. Une production qui s’accompagnera d’un manifeste pour un tercer cine, “traduit dans plus de 15 langues, qui va marquer toute une génération, et qui va marquer toutes les luttes décoloniales de cette époque là”.
Une arme pour l’État
La production d’image de plus en plus massive lors des manifestations permet à la police d’accéder à une base de donnée très facilement exploitable lors des enquêtes. Françoise Bilancini, directrice du renseignement de la préfecture de police de Paris : “Les journalistes de rue font n’importe quoi et brisent l’anonymat des militants sur lesquels ils travaillent, ce qui les conduit à se faire violenter. Les journalistes de rue des gilets jaunes sont une bénédiction : ils filment la manifestation de l’intérieur et les gens non grimés de face. […] Grâce à notre travail avec la direction de l’ordre public et de la circulation et nos partenaires, nous faisons en sorte que l’organisation se passe bien. Ensuite, on compte, on observe, on exploite les réseaux sociaux et les vidéos à disposition pour identifier les gens.”.
Pour Lune Riboni c’est un sujet compliqué, car “d’un coté je pense qu’il faut filmer, ne serait-ce que par ce qu’on a besoin d’histoire des luttes pour transmettre leur mémoire, on a besoin d’image qui sont des outils de sensibilisation et de mobilisation. On a tous des images en têtes qui nous ont marqué des Gilets jaunes, des soulèvements arabes, etc.” Mais d’un autre, “on utilise la vidéo pour incriminer et on va utiliser aussi des contenus qui sont produits dans le but de mobiliser pour reconnaître des personnes”. Une des nécessité à venir est certainement qu’une “éducation se fasse” des personnes qui produisent des images, “il y a des contextes où il ne faut pas filmer et il faut avoir conscience de ça”.
Une émission animée et produite par Pierre-Louis et Sophie. Réalisation, mixage et montage de Victor Taranne.