Les écologistes sont aux portes du pouvoir dans plusieurs grandes villes. À Grenoble, Eric Piolle fait figure de pionnier. Seul écolo élu à la tête d’une ville de plus de 100 000 habitant·e·s en 2014, ses résultats sont là : la ville se transforme. L’union de la gauche tient bon, et l’écologie reste un thème rassembleur, malgré quelques entorses à la promesse démocratique.
L’union de la gauche avec le PCF, mais sans le PS
Pas d’effusion de joie au soir du premier tour des élections municipales en mars dernier du côté de Grenoble en commun. Quelques sourires seulement. Du soulagement certainement. Pourtant le résultat est sans appel, 46,68 % pour la liste menée par le maire sortant. Eric Piolle a rassemblé autour de lui la plupart des forces de gauche : EELV bien sûr, mais aussi la France Insoumise, Génération.s, Nouvelle Donne, le Parti animaliste, Ensemble!, et même le Parti communiste qui est venu renforcer l’alliance de la gauche, qui date déjà de 2014.
Seul le P.S a fait bande à part, en présentant Olivier Noblecourt, arrivé en quatrième position avec 13,31% des voix. L’ancien maire de droite, Alain Carignon (1983-1995), condamné pour corruption, végète sous les 20%, dans une seconde position sans perspective de renverser la table. La rédemption sera pour plus tard. Emilie Chalas (LREM) s’intercale entre les deux candidats avec 13,75% des voix.
Pendant la crise, Piolle reste dans son rôle de maire protecteur
Les choses auraient pu en rester là. Au soir du premier tour, Eric Piolle doit gérer la crise du coronavirus et le confinement qui se profile. “On était chauds bouillants pour enchaîner sur la campagne du second tour… et puis on a mis ce temps à profit pour repenser le programme,” explique Nicolas Kada, responsable dudit programme. Le thème de la sécurité passe au premier plan. Pas celle qui implique police et répression. “Le logement, le social, la sécurité alimentaire… on sait qu’à la crise sanitaire, une crise sociale et économique terrible va s’ajouter.“
Pendant cet entre-deux tours le plus long de tous les temps, le maire de Grenoble multiplie de son côté les vidéos sur Twitter, remue ciel et terre pour trouver des masques, signe des tribunes pour appeler au rassemblement de la gauche… Il veut éviter que les lignes bougent avant un second tour encore incertain pour ces municipales. À la veille du vote, son pari de l’écologie qui rassemble semble gagné.
☎️ Prendre le temps d’entendre, d’échanger, de convaincre: c’est l’âme de la vie publique dont nous prive encore le #COVID19. Les écrans ne remplacent jamais le contact humain. Alors mener campagne par téléphone devient utile, pour écouter et comprendre chaque absentionniste. pic.twitter.com/WrPEOewmJT
— Éric Piolle (@EricPiolle) June 17, 2020
Les alliances n’ont pas bougé pendant la crise sanitaire
Depuis le déconfinement, les affiches abimées, sont à nouveau collées. Quatre têtes sont placardées sur les panneaux d’affichages électoraux pour cette quadrangulaire : Alain Carignon (Divers droite), Olivier Noblecourt (P.S), Emilie Chalas (Divers centre) et Eric Piolle (Divers gauche). Pas de fusion ni de retrait. Rien n’a bougé pendant la crise, et c’est une aubaine pour le maire sortant.
« C’est difficile de faire campagne parce que les habitants n’ont pas ça en tête », analyse Nicolas Kada, en 19e position sur la liste Grenoble en commun. Reprendre la campagne en respectant le gestes barrières n’a pas été simple. L’équipe sortante a pourtant un bon bilan à défendre, et un score confortable au premier tour. Deux arguments de vente intéressants. Mais la crise du Coronavirus leur a appris à « rester humble ». Les militant·e·s savent qu’un bilan peut rapidement fondre comme neige au soleil.
Quel bilan pour l’écologie à Grenoble depuis les dernières municipales ?
La ville se métamorphose depuis quelques années. Exit le tout voiture. Les « chronovélo », petits noms des pistes cyclables, quadrillent la ville sur 20 kilomètres. D’ici 2022, ce chiffre devrait doubler, et leur nombre a déjà commencé à augmenter pendant le confinement. La capitale des Alpes est même arrivée en tête des villes cyclables de 100 000 à 200 000 habitants dans un classement élaboré par la Fédération française des Usagers de la bicyclette (FUB).
Les rues aussi ont bien changé. Plus piétonnes, avec des trottoirs élargis. « Ça répond bien aux enjeux d’aujourd’hui : la lutte contre le changement climatique, transformer radicalement la place de la voiture dans la ville, et lutter contre la pollution, » analyse David Gabriel Bodinier, qui se définit comme un “citoyen grenoblois”, et participe à l’Atelier populaire d’urbanisme du quartier de la Villeneuve.
Vélo et qualité de l’air ne vont pas forcément de pair
Si la pratique du vélo s’ancre dans la ville la plus plate de France, les bouchons persistent comme le révèle une étude du fabricant de GPS TomTom publiée en janvier dernier. Grenoble arrive en quatrième position derrière Paris, Marseille et Bordeaux. « Dans l’hypercentre c’est sûr on a moins de pollution… mais Grenoble dans son ensemble est plus polluée, à cause des embouteillages », critique Cyril Sarasi, propriétaire de l’hôtel d’Angleterre place Victor Hugo, proche de La République en Marche.
Le maire ne ménage pourtant pas ses efforts pour purifier l’air dans la cuvette Grenobloise. Des zones de faible émissions à 30 km/h ont vu le jour. La métropole ambitionne d’atteindre 100 % d’électricité verte dès 2022 grâce à l’hydraulique, l’éolien et le solaire.
Sur le même thème : écoutez notre reportage À Grenoble, le RIC devient réalité
Le candidat Piolle souhaite généraliser la gratuité des transports le week-end, veut végétaliser des « ilôts de fraicheur débitumisées ». Dans un rapport publié en décembre dernier par Greenpeace, la ville se hisse en 2ème position des douze agglomérations luttant contre la pollution de l’air.
L’écologie à Grenoble s’attaque aussi à la pollution visuelle, argument massue des municipales 2014. 326 panneaux publicitaires ont été remplacés par des zones d’expression libre et la plantation de nouveaux arbres. Mais la réclame subsiste sur les abribus, puisqu’elle dépend d’un contrat entre le syndicat mixte des transports en commun de l’agglomération grenobloise (SMTC) et le groupe JC Decaux.
Le programme de 2014 appliqué dans les grandes lignes
Sylvie Tessier a créé un site Internet sur lequel elle a répertorié les compte-rendu des conseils municipaux à Grenoble. Elle a publié une synthèse des six ans de mandat, une sorte de fact-checking des 120 engagements de 2014. Un moyen pour elle de se réconcilier avec la politique. « Sur ce point-là c’est pas complètement réussi », confesse t-elle.
La plupart des promesses du candidat de l’écologie aux municipales 2014 à Grenoble ont été tenues : renforcement des centres de santé, investissements dans les écoles, le bio dans les cantines, la rénovation énergétique … Le programme misait également sur une ville à taille humaine et des quartiers ou il fait bon vivre, avec une part belle aux rénovations. « C’est la partie de leur programme la plus avancée au vu des délibérations », souligne Sylvie Tessier.
Un contexte financier difficile
Entre épargne nette négative et baisse des dotations de l’État de 20 millions d’euros sur 4 ans, il a fallut trancher pour entrer dans les clous financiers. Les impôts locaux n’ont pas été augmentés. Une mesure sociale, souligne la majorité de Grenoble, qui compte bien capitaliser sur ce bilan pour les municipales, et dépasser les seuls débats sur l’écologie.
Sous l’ère Piolle, des mesures d’exemplarité sont mises en place : baisse de 25 % de l’indemnité des élus, et de 78 % pour les frais de bouche. Certains budgets ont maigri. « Derrière, il faut prendre le taureau par les cornes pour redéfinir le périmètre de l’action publique parce qu’on est bien conscients qu’on peut pas demander aux agents des services publics de faire la même chose avec un mois de budget en moins », poursuit le maire.
Deux bibliothèques sont fermées en 2016 pour réaliser des économies. Un sacrifice qui a laissé des traces. Casserolades, pétitions et interruption des conseils municipaux viennent ternir l’image de la municipalité verte. La méthode unilatérale n’a pas plu.
En décembre 2016, Bernadette Richard Finot et Guy Tuscher, deux élus de la majorité, s’abstiennent lors du vote du budget pour contrer ces arbitrages budgétaires. La réponse ne se fait pas attendre, ils sont exclus du groupe RCGE (Rassemblement Citoyen de la Gauche et des écologistes). Guy Tuscher garde un amer souvenir de sa collaboration avec Eric Piolle. “Redonner le pouvoir aux citoyens, c’était le mot d’ordre de la campagne de 2014… et ça a été abandonné très rapidement.“
La co-construction avec les habitant·e·s : « une tartufferie incroyable »
David Gabriel Bodinier, n’a pas constaté non plus une révolution dans les rapports entre élus et citoyens lors du mandat d’Eric Piolle. Pire, la municipalité n’a pas pris en compte les résultats du RIC [Référendum d’Initiative Citoyenne] sur la démolition de logements sociaux de la galerie de l’Arlequin, dans le quartier de la Villeuneuve. En tout, 25% du corps électoral s’était déplacé (526 votants) pour voter contre à 69,6%.
« Cette expérience-là symbolise la faiblesse de la transformation démocratique qui était au cœur du programme de 2014, » analyse David Gabriel Bodinier. Pour prendre Grenoble, Eric Piolle proclamait haut et fort que l’écologie et la démocratie devaient se tenir la main pour une transformation globale. « C‘est vraiment une tartufferie incroyable”, tance Guy Tuscher. “Eric Piolle ne veut pas que ses décisions soient contestées par des citoyens de Grenoble quand elles ne vont pas dans son sens. »
L’exercice du pouvoir
En mars dernier à son local de campagne ou il anime un petit-déjeuner avec quelques grenoblois, le maire de Grenoble pare les coups tranquillement. La pluie fine s’abat sur la vitrine de la pièce qui donne sur une rue située en plein cœur du centre-ville. Son équipe le presse de terminer. « Guy Tuscher fait parti de cet espace de la France insoumise, de Ensemble! pour lui, qui finalement sont dans une logique de porte voix de certaines catégories sociales, ça peut avoir du sens politiquement, mais qui refuse ce qu’engendre l’exercice du pouvoir ».
Pour Sylvie Tessier, c’est « là ou ils ont été extrêmement décevants, dans tout le volet démocratie local. Le fait de ne pas travailler avec les acteurs locaux, ils ont toujours été en méfiance », décrypte la grenobloise. En 2014 le maire a pourtant su mobiliser un tissu associatif local dynamique. L’association pour la démocratie, l’écologie et la solidarité (Ades) continue d’accompagner le maire.
Des petits projets sans grandes ambitions
L’autre volet de la démocratie locale de la mandature Piolle, ce sont les budgets participatifs. Si leur dotation n’est pas négligeable, autour de 800 000€, ils n’ont pas débouché sur une révolution locale pour autant. Pensés pour remédier aux limites de la participation politique par le vote, ils donnent lieu à « l’émergence de petits projets à l’échelle locale sans l’ambition transformatrice qu’ils avaient dans leur conception originale », explique Alice Mazeaud est maîtresse de conférence en science politique.
L’équipe municipale reconnait à demi mot des lacunes sur ce volet. « Pour moi la démocratie c’est un entrainement et donc on s’est musclé et on s’est entraîné pendant ce mandat. Évidemment tout n’est pas parfait. Mais je crois qu’on est singuliers dans ce domaine-là », veut croire Eric Piolle.
Le programme de Grenoble en commun s’inscrit dans cette logique. Il a été élaboré avec l’apport de 700 propositions recueillies entre septembre et décembre 2019 lors de réunions de travail (appelées Fabrique en ville) et sur une plateforme en ligne. Dans son programme, le maire souhaite aller plus loin en constituant une convention citoyenne sur le climat au niveau local.
Quel rôle pour Eric Piolle dans « le monde d’après » ?
Eric Piolle a déjà confié qu’en cas de victoire, ce sera son dernier mandat. Pour le seul édile écolo capable d’unir la gauche, l’ambition dépasse le cadre local auquel il croit pourtant dur comme fer. Le confinement lui a permis d’œuvrer, en coulisses numériques, au grand rassemblement de la gauche qu’il appelle de ses vœux.
Le secrétaire national d’EELV Julien Bayou, le hamoniste Guillaume Balas, l’ancien frondeur socialiste Christian Paul, la députée communiste Elsa Faucillon, la porte-parole d’Attac Aurélie Trouvé, mais également les insoumis François Ruffin et Clémentine Autain… Le maire de Grenoble et son réseau dépasse largement le cadre des unions de circonstances aux municipales.
« Il faut créer un arc humaniste qui va de la moitié du PS à la France insoumise en capacité de proposer un projet de société majoritaire », plaide le maire de Grenoble. Eric Piolle continue de tracer son sillon, à l’abri des massifs de la Chartreuse, mais pas à l’abri des regards. Et à faire de l’ombre à Yannick Jadot, qui mentionne rarement l’écologie à Grenoble, et encore moins les municipales dans la ville lors de ses interventions médiatiques [2]. Une divergence de point de vue par rapport à la stratégie à adopter pour 2022 bien que le député européen semble modifier peu à peu sa position. Yannick Jadot veut ratisser large, Eric Piolle souhaite unir la gauche. Et endosser, peut-être, le maillot de capitaine ?
A Grenoble, reportage de Tim Buisson. Photo de Une : Tim Buisson.
[1] PIOLLE Eric, « Grandir ensemble : Les villes réveillent l’espoir », Les liens qui libèrent, 2019, 256 pages.
[2] Dans cette interview sur France Inter au lendemain du premier tour des élections municipales, Yannick Jadot ne fait mention à aucun moment de Grenoble, pourtant seule grande ville dirigée par EELV depuis 2014, alors que les réussites locales des verts aux élections sont mentionnées dans d’autres villes.