Lundi 18 mars, le calme de la rue Léon-Jost, dans le 17e arrondissement de Paris, a été troublé par la venue d’une quinzaine de militantes féministes devant le Conseil de l’ordre des médecins. Accompagnées de pancartes, elles venaient demander au Conseil de sanctionner le SYNGOF. Le premier syndicat national des gynécologues menaçait de déclencher une “grève de l’IVG”, l’interruption volontaire de grossesse.

Devant l’entrée du Conseil de l’ordre des médecins à Paris, elles et ils sont une quinzaine. Des hommes sont déguisés en médecins avec des cintres et aiguilles à coudre ensanglantés. Des femmes habillées en blanc et recouvertes de faux sang s’attachent entre elles pour mettre en scène une prise d’otage. L’objectif : dénoncer la menace brandie par le SYNGOF, premier syndicat des gynécologues français. Il menace le ministère d’une “grève de l’IVG”, s’il n’est pas entendu.

Le 12 mars 2019, ce syndicat publie un communiqué pour demander à s’entretenir avec Agnès Buzyn, ministre de la Santé. Il souhaite faire valoir ses revendications, dans le cadre du projet de loi santé, actuellement examiné par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale.

Le syndicat demande en particulier une augmentation du montant alloué au fonds FAPDS (fonds de garantie des dommages consécutifs à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins dispensés par des professionnels de santé). Un fonds qui couvre les frais d’une quinzaine d’obstétriciens, condamnés pour des faits d’agressions sexuelles, entre 2002 et 2012. Des amendes qui dépassent le plafond de leur assurance.

“Faire scandale” sur un “sujet trop technique”

Pour obtenir satisfaction, le syndicat menace le ministère d’une grève peu commune : arrêter la pratique des IVG. Dans un communiqué à destination des gynécologues et obstétriciens adhérents, en lettres bleues, il annonce : “Préparez-vous donc à ce que le syndicat vous donne l’ordre d’arrêter les IVG si la ministre de la Santé refuse de nous recevoir”. Le syndicat dit représenter 1 600 gynécologues. Il assume vouloir “faire scandale” sur un sujet “trop technique pour intéresser la presse” afin d’obtenir un rendez-vous avec Agnès Buzyn.

La ministre de la Santé n’a pas tardé à répondre. Elle condamne les menaces d’appel à l’arrêt de la pratique de l’IVG. L’ordre des médecins a aussi réagi en condamnant l’initiative du SYNGOF via un communique publié le 13 mars. Pour la ministre de la Santé, comme pour les militantes féministes ayant réagi, cette menace d’arrêt est une “prise d’otage des femmes”. En aucun cas, cela ne peut servir de “levier de négociation ou de médiatisation de ce dossier que le ministère suit de très près”.

Depuis, le SYNGOF, dans un communiqué, a dénoncé “une fausse polémique” et assuré qu’il n’arrêterait pas “la pratique des IVG”. Un rétropédalage jugé insuffisant par les associations féministes. Elles réclament des sanctions contre le syndicat.

Des militantes féministes devant le Conseil de l’ordre des médecins à Paris. Photographie prise : Prisca Da Costa pour Radio Parleur.

“On a saturé leur boite mail, ça ne suffit pas. On va se pointer devant”

Anais Leleux, militante féministe pour l’association NousToutes et le Groupe F (ONG de lutte contre les violences sexistes et sexuelles lancée par Caroline de Haas) est l’une des premières à avoir réagi après la publication du communiqué du SYNGOF. Dans un tweet relayé plus d’un millier de fois, elle interpelle le Conseil de l’ordre avec un formulaire demandant de sanctionner le SYNGOF. En tout, au moins 11 800 mails ont été envoyés au Conseil de l’ordre.

“On n’a eu aucune réponse. Puisqu’ils ne voulaient pas répondre, qu’on a saturé leur boite mail et que ça ne suffit pas, on va se pointer devant”, explique Anaïs Leleux. Lundi 18 mars, une quinzaine de militantes et militants de NousToutes, des Effronté-e-s et du collectif “Tou.te.s contre les violences obstétricales et gynécologiques” répondent à l’appel devant le Conseil de l’ordre des médecins.

L’action coup de poing spectaculaire ne manque pas d’attirer l’attention des employés du Conseil. Une femme retient la porte, ouverte après le passage d’une personne. L’opportunité pour les militantes d’entrer. “En grimpant les escaliers, en ne savait pas où on allait. Arrivées au premier étage, on tombe sur une réunion en cours”, raconte Anaïs Leleux. Elles rencontrent alors Walter Vorhauer, secrétaire général du Conseil national de l’ordre des médecins.

“Une sorte de délit d’entrave collectif et organisé” à l’IVG.

Les militantes entendues par le secrétaire général ne sont pas satisfaites de sa réaction. Celui-ci leur dit de saisir une instance, afin d’obtenir une décision de la cour disciplinaire. “Ils (le Conseil, NDLR) nous ont dit, qu’à titre personnel, ils se sont mobilisés dans les années 70 en faveur de l’IVG. Je leur demande de se mobiliser aussi en 2019″, poursuit Anaïs Leleux.

Pour les militantes féministes, cette grève de l’IVG ne constitue rien de moins qu’un délit d’entrave à l’IVG. Anaïs Leleux rappelle que les médecins peuvent, à titre individuel, refuser de pratiquer une IVG en invoquant l’objection de conscience. Ils doivent par la suite diriger la patiente vers un médecin acceptant de la pratiquer. “Là, on est face à un nouveau cas. Il va falloir militer pour que la loi change. Il y a une sorte de délit d’entrave collectif et organisé.”

Sonia Bisch, militante du collectif “Tou.te.s contre les violences obstétricales et gynécologiques” présente à l’action, se dit choquée des menaces du SYNGOF. Elle demande une réaction du Conseil de l’ordre. “En France, on est dans le pays des Droits de l’homme. Il serait temps que ce soit aussi le pays des Droits des femmes.”

Les militantes féministes restent vigilantes quant aux menaces de grève de l’IVG. Anaïs Leleux a déposé plainte, en son nom, contre le syndicat national des gynécologues obstétriciens de France. Une saisine collective du Conseil national de l’ordre des médecins est également en cours de préparation.

Un reportage réalisé par Prisca Da Costa.