Le serpent de mer a fini par sortir de terre. La première salle de consommation de drogues à moindre risque, dite “salle de shoot”, ouvre ses portes aujourd’hui aux usagers de drogue. Après avoir surmonté des années d’embûches politiques, des refus systématiques de riverains du Xe arrondissement de Paris, et obtenu un budget de plus d’un million d’euros par an de l’Agence Régionale de Santé, cette structure unique en France expérimente la prise de drogue supervisée. Une expérimentation qui va durer six ans.Bienvenue dans la quartier de la gare du nord ou les riverains ne veulent pas de “salle de shoot

La gare du nord et ses alentours, ses immeubles hausmanniens, ses larges boulevards où les cultures se mélangent, et l’hôpital Lariboisière. Pendues aux balcons de l’immeuble qui jouxte le 2, rue Ambroise Paré, de larges banderoles affichent un non cinglant à l’ouverture d’une “salle de shoot”. Sur le trottoir, sous ces banderoles, des gens abîmés, qui parlent de stéribox, le kit de matériel stérile pour les injections de produits stupéfiants. Des “usagers de drogues”, qui pensaient pouvoir accéder à la salle de consommation de drogue dès aujourd’hui. Mais ils devront attendre ce lundi 17 octobre. “Le quartier est le principal lieu de consommation de drogues” à Paris, peut-on lire dans le dossier de presse fourni par la mairie de Paris. De fait, les machines ou l’on peut échanger des seringues sales contre des propres y tournent à plein régime. L’an dernier, 60% du matériel de consommation de drogue délivrée  par ces automates métalliques à Paris l’a été dans ce quartier.

Salle de consommation, pas salle de shoot

Retour en arrière : mardi 11 octobre 2016, c’est jour d’inauguration. Les visites de cette première salle de consommation de drogue s’enchaînent toute la journée, les journalistes défilent par la petite porte autonome derrière la maternité de l’hôpital. Notre guide s’appelle José Matos, chef de service au sein de l’association Gaïa Paris, gestionnaire de cette structure. Il nous reçoit dans une petite cours, de laquelle on aperçoit les vieilles pierres de l’hôpital Lariboisière, derrière une haie de fer. “Bienvenue dans cette salle de consommation et non pas salle de shoot ! Pourquoi ? Tout simplement parce qu’ici il n’y a pas que des postes d’injection, et donc l’objet c’est bien de réduire les risques de consommation des produits,” nous explique José Matos. Parmi ces produits, il y a de l’héroïne, ses substituts comme la métadone, le crack… mais aussi les simples cigarettes. “Vous venez d’entrer par une petite cours, par laquelle rentrerons les usagers, et ils pourront rester dans ce petit préau fumer des cigarettes. Pour ceux qui viennent simplement chercher du matériel ils pourront en avoir à ce comptoir. Une partie des personnes qui consomment ont un logement, une famille, un emploi… et ils ne voudront pas nécessairement utiliser le dispositif, qui est vraiment fait pour les précaires. Ceux qui consomment dans les toilettes publiques, les parkings…ce qu’on veut c’est leur offrir un lieu aseptisé et sécurisé. Pour qu’ils prennent en compte les règles de prévention qu’on leur donne…”

Les usagers devront commencer leur parcours par la première porte à droite, sous le préau, pour se présenter à l’accueil. L’endroit est lumineux, et finalement pas très impressionnant. Ni trop blanc, ni pas assez, ça ne sent pas l’hôpital. On se sent presque comme dans la salle d’attente d’une administration. “Les personnes viendront montrer leur produit. Nous, on prend un prénom ou pseudo et une date de naissance. Ensuite on leur donne un petit ticket, comme à la sécu, avec un numéro. Ils attendent ici leur tout pour accéder à la salle de consommation.” Nous nous avons nos petits badges de journalistes, alors José Matos ne nous fait pas attendre très longtemps, car les confrères commencent à piaffer.

Chacun est responsable de sa prise de drogue

Chacun ici est donc responsable de sa prise de drogue, et les encadrants ne sont là que pour observer, et conseiller. Des conseils pour s’injecter sa drogue, héroïne ou médicaments détournés de leur usage avec des seringues propres, et des gestes sans risque ou presque d’attraper le sida, l’hépatite C, ou des maladies infectieuses. Cela ne veut pas dire inciter les toxicomanes à se désintoxiquer. C’est là le coeur de la critique faite par les opposants aux salles de consommation de drogues.
Au premier rang, des élus Les Républicains, comme Valérie Pécresse. La présidente de la région Île-de-France avait voté contre l’ouverture de la structure lors du conseil de Paris. “Le but de ces salles de shoot n’est pas le sevrage, la sortie des toxicomanes de leur addiction, ” expliquait-elle le 2 juin 2015 sur le plateau des IndésRadios. Nathalie Kosciusko-Morizet, candidate à la primaire des républicains pour l’élection présidentielle et présidente du groupe LR au conseil de Paris, déplorait le 9 octobre dernier sur France Inter, l’esprit dans lequel les usagers sont accueillis dans la salle de consommation de drogue, une approche de réduction des risques à la prise de drogue. “Dans les salles de shoot, vous n’avez pas de thérapeutique. Parce qu’on dit, ‘ça va permettre de les contacter pour les accompagner,’ mais ce n’est pas ça qui est proposé dans une salle de shoot.” Pas utile, pas efficace… mais surtout dangereux. Pour Philippe Goujon, député-maire Les Républicains du 15e arrondissement de Paris, ces salles de conso sont la première glissage sur la pente de la légalisation des drogues. “En rendant l’usage incitatif, disait-il devant l’Assemblée Nationale lors du débat sur la Loi Santé l’année dernière, vous prenez le risque d’aggraver la toxicomanie par la banalisation de la drogue. Monsieur Le premier Ministre, l’Etat et la ville de Paris se mettront-ils hors la loi ? Ou vous apprêtez-vous à dépénaliser l’usage de la drogue ?”
Tout-e-s ont vigoureusement dénoncé l’approche ce qu’ils considèrent comme un encouragement pour les toxicomanes à se droguer, encore mieux…. et donc encore plus. La députée PS Catherine Lemorton, qui fut l’une des architectes de l’ouverture des salles de consommation de drogue pendant le quinquennat de François Hollande, n’a pas tout à fait le même avis. “Les Républicains, j’ai beaucoup de respect pour eux mais ils ne savent pas de quoi ils parlent.” La députée, ancienne pharmacienne, a vu passer beaucoup de toxicomanes dans sa pharmacie, membre d’n réseau de toxicomanie. Des usagers de drogues  en grande précarité, vivant dans la rue ou dans des squats passaient échanger des seringues sales contre des propres, et parfois, échanger quelques mots. “On a des toxicomanes qui échappent à tous les dispositifs existants. Donc le but c’est d’aller leur tendre la main. Et surtout on sait qu’au bout d’un moment, quand ils ont toujours les mêmes personnes en face, ils s’arrêtent en disant, ‘je ne peux plus vivre comme ça.'”

Un lieu trop confort ?

Sans ce déclic, aucun travail de sevrage, ou de désintoxication ne peut démarrer, et cela tous les travailleurs sociaux ou médicaux qui travaillent sur les addictions le disent. Oui mais voilà, rétorque la droite, si la salle de consommation de drogue de Lariboisière est trop confortable, alors les usagers de drogue s’y piqueront toute la journée, et ce déclic n’arrivera jamais. Face à cet argument, José Matos secoue la tête fermement. Ici, un ticket d’entrée égale un seul fix. Ceux qui veulent se droguer plusieurs fois devront sortir, puis redemander un ticket, attendre à nouveau leur tour… une fois de retour dans la salle de consommation, ils n’échapperont pas au regard des encadrants.
“Ceux qui viennent viendront tous les jours, on aura l’habitude de les voir, et de connaître leur état. On pourra discuter avec elle, l’accompagner pour retarder au maximum sa consommation. Mais on va quand même lui permettre de le faire ici, parce que sinon, il va sortir se piquer dehors, et faire son overdose deux rues plus loin. Ici nous avons des équipes médicales, et dans l’équipe on est tous formés aux gestes de premiers secours. Nous avons aussi un protocole d’accord avec l’hôpital Lariboisière pour les cas d’urgence médicale.” Pour éviter l’overdose, au moins deux encadrants seront toujours présents derrière un petit comptoir, au milieu de la salle. Dans une pièce longiligne qui tient plus du bureau en open space que de la salle de shoot, une dizaine de postes d’injection, et une ou deux pièces fermées pour plus d’intimité “certains usagers s’injectent dans l’aine, c’est important qu’on puisse s’adapter à leur pratiques.”

Chacun à son poste

Chaque poste, c’est un espace de la taille d’une feuille A3, séparé des autres par un panneau. Juste derrière, encore un petit comptoir. Derrière le comptoir, des petites boîtes avec tout le matériel possible et imaginable, alignées comme les étals avec toutes les tailles de clous et de vis dans un magasin de bricolage. Seringues, lingettes, embouts plastiques gros et petits, filtres… c’est ici que l’usager se compose un kit adapté à sa drogue, et surtout, à la façon dont il se l’injecte.
Ensuite, une fois le moment de la prise passé, direction la salle de repos, une pièce plus loin. Lumière tamisée et poufs colorés, une petite machine à café, l’ambiance est chaleureuse. C’est aussi là que le travail des encadrants est le plus crucial. “L’idée c’est de pouvoir permettre aux usagers de pouvoir se détendre. Quand ils vont arriver à l’accueil, ils seront en manque, ou dans le stress de la consommation. Là, il seront plus détendus, et c’est là qu’ils peuvent faire autre chose, lire un bouquin, et discuter avec un intervenant. On peut discuter de leurs pratiques, les inciter à en changer… pour les injecteurs par exemple, on peut leur conseiller de “chasser le dragon.” Vous mettez l’héroïne sur une feuille d’aluminium et vous chauffez, pour inhaler la vapeur avec une paille. C’est une pratique à moindre risque puisqu’il n’y a pas d’injection…. même si le risque d’overdose existe toujours.”

Retrouver un peu de tranquillité

Alors que la visite s’achève, une journaliste de la télévision espagnole TVE interpelle le travailleur social. Des salles de consommation existent déjà dans une dizaine de pays européens… Une seule salle en France, est-ce que ce n’est pas un peu maigre ? José Matos, lève les sourcils, pour lui qui se bat avec l’association Gaïa depuis des années pour l’ouverture de ces structures, c’est une évidence. “Une seule salle c’est un peu insuffisant… on espère arriver à régler une partie du problème dans le quartier, et apporter un peu de tranquillité dans le quartier, car c’est vrai que des riverains y étaient opposés. Nous notre objectif c’est de leur faire réaliser d’ici un an que ça leur apporte justement un peu plus de tranquillité.”

D’autres salles expérimentales doivent ouvrir dans les prochains mois en France. D’après Mediapart, celle de Strasbourg pourrait ouvrir avant la fin du mois d’octobre. Pour celle de Bordeaux, il faudra attendre un peu, dit-on dans le milieu de l’addiction. Au moins attendre que les primaires de la droite soient derrière le maire de la ville Alain Juppé.