“Quand vous serez ministre de l’Intérieur, vous changerez les règles. En attendant…”

Maxime G. est l’un des six inculpés qui passaient au tribunal de grande instance de Paris jeudi dernier. Les faits qui lui sont reprochés se sont déroulés lors d’une manifestation contre la Loi Travail, le 5 juillet. Ce mardi-là, le projet de loi dit « El Khomri » revienait du Sénat pour passer en deuxième lecture à l’Assemblée Nationale. Manuel Valls engageait à nouveau la responsabilité du gouvernement face aux députés, coupant court une nouvelle fois au débat parlementaire. Le début de l’examen du texte aurait du commencer à 15h00.

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“Est-ce que je peux répondre ?”

Quelques heures plus tôt, le cortège syndical s’ébranle depuis la place d’Italie en direction de la place de la Bastille. Dans les rangs, un appel circule parmi les manifestants : converger vers l’Assemblée Nationale sitôt le cortège terminé, afin de protester contre un nouveau recours au 49-3. Maxime G. la trentaine, jeune homme barbu en chemise bleue marine, professeur de physique-chimie en Île-de-France est l’un de ces  nombreux manifestants.

Ce jeudi 22 septembre, debout face au tribunal, les mains dans le dos, il se défend seul. Accusé de « rébellion en réunion, » la présidente lui égrène le déroulé des événements consignés dans le procès-verbal de sa garde à vue. Il la coupe : « Est-ce que je peux répondre ? » ponctue de « ce qui est faux ! » un certain nombre des faits consignés dans ce document, avant d’être rappelé à l’ordre sèchement par la présidente. L’assemblée – dans laquelle on trouve de nombreux militants venus le soutenir – se crispe, soupire et semble se dire « mais tais-toi ! tu t’enfonce ! » à chaque fois que le jeune homme interromps la présidente. Maxime lui, est très stressé et ne semble ne pas s’en rendre compte alors que la présidente s’agace de nouveau. La magistrate tolère ces interruptions intempestives du rituel judiciaires, tout en levant des yeux lourds de sens.

« Avez-vous donné un ou plusieurs coups de pieds dans le bouclier du CRS ? » demande la présidente. Sûr de lui, Maxime répond : « Un seul, madame la présidente ». Pas de chance, les procès verbaux de ses différentes auditions ne collent pas.  Dans l’un, il a reconnu avoir donné plusieurs coups de pied. Le jeune homme se met à bredouiller, il explique que les choses étaient confuses pendant la garde à vue, puis après. Il plaide la fatigue. Mais il dispose d’une vidéo qui montre tout le déroulé de la scène et se propose de la montrer au tribunal. Trop tard lui répond celui-ci, il fallait en faire la demande avant. Maintenant, le tribunal n’a plus le temps.

Un coup de pied pour se défendre

Il reste les photos, que la présidente accepte de regarder. Elles sont tirées de la vidéo par Maxime G. « Je me suis permis d’entourer en rouge les points importants » précise-t-il. Il s’approche de la présidente, qui a fait venir auprès d’elle la procureure et la greffière, refait le film en montrant ses photos, mime à plusieurs reprises ses gestes. Des gestes qui ressemblent plus à des mouvements de recul que d’attaque assure-t-il. C’est sa ligne de défense, il n’a jamais “armé son bras pour assener un coup de poing”, comme l’a dit le policier qui l’a interpellé ce jour-là. Il a seulement tenté d’extirper une femme de cette cohue battante, et il a mis un coup de pied dans le bouclier d’un CRS, pour se défendre.

Se défendre, mais de quoi ? Voilà Maxime G. bien embarrassé. « Vous vous opposez à une opération de maintien de l’ordre. Vous êtes sûr d’être bien légitime pour faire ce que vous faite à ce moment là ? » lui demande la présidente. Que répondre à cela ? Maxime G. se remet à bredouiller, « il y a de la répression policière, j’ai vu des gens se faire frapper, je suis intervenu. Les policiers ont sorti des matraques télescopiques… » «  …avec lesquelles ils ne vont ont pas frappées ! le coupe la présidente. » « Oui, mais ils m’ont menacé ! » Là, la présidente sort de ses gonds. « Quand vous serez ministre de l’intérieur, vous pourrez changer les règles. En attendant, les policiers sont équipé d’un matériel parfaitement légal, avec la permission de s’en servir ! »

La crise de la représentativité ? Le tribunal n’est pas un lieu pour juger ça.

Pourtant, ils lui ont fait peur, ces CRS armés. Et cela, la présidente semble l’entendre. Maxime G. décrit un policier « gigantesque » et des coups de tonfa comme s’il en pleuvait. Il a eu peur, et cela explique le coup qu’il a porté sur le bouclier. Et sa présence en manifestation, en dehors du parcours déposé par les syndicats ce jour-là ?  « Il y a une crise sociale… » La présidente le coupe «  Ce n’est pas le lieu pour ça, monsieur G. » Le contexte ne sera pas un élément d’explication de son comportement à lui. Et pourtant, se battre pour des idées, cela donne du courage, le courage de se jeter dans une mêlée de tonfas et de hurlements en ce jour de mobilisation contre la Loi Travail, mobilisation pour dire que Manuel Valls ne pouvait enterrer sans que rien ne soit dit le débat à l’Assemblée Nationale. « Les faits sont délimités, » assène la présidente. Les raisons politiques ne sont pas entendables dans le cadre ainsi posé.

La Procureure, elle, n’hésite pourtant pas à faire appel à ce fameux contexte des manifestations contre la Loi Travail, « qui rendent chacune des opérations de police dans ce contexte particulièrement délicates, avec des débordements qui peuvent advenir à n’importe quel moment. » De quoi requérir 4 mois de prison avec sursis, sans inscription au casier judiciaire B2. « Il n’y a pas eu rébellion en réunion, en revanche, des violences, oui. » Des violences à l’égard de fonctionnaires de police qui faisaient du maintien de l’ordre dans un contexte tendu.

“Il faut continuer à manifester”

A la sortie de l’audience, Maxime G. est sonné, mais soulagé. Car même s’il est condamné, il n’aura pas de casier. Pourtant, il dénonce de faux témoignages de policiers, et surtout une ambiance de manifestation plus que tendue. Le jugement est mis en délibéré. La décision est attendue le 6 octobre prochain.